Alors que François Bayrou doit présenter mercredi en conseil des ministres trois projets de loi sur la moralisation de la vie publique, le climat n’est pas à la sérénité au sein du gouvernement. Le garde des Sceaux a été publiquement recadré par le Premier ministre, mardi, pour s’être plaint auprès d’un responsable de Radio France d’une enquête sur l’affaire des assistants parlementaires du MoDem, son parti.
Malgré les critiques d’Édouard Philippe, François Bayrou a persisté, revendiquant sa liberté de ton. "Chaque fois qu'il y aura quelque chose à dire à des Français, à des responsables, qu'ils soient politiques, qu'ils soient journalistiques, qu'ils soient médiatiques, (…) je le dirai", a-t-il déclaré. Mais cette intervention auprès d’un média, perçue comme une "pression", est-elle compatible avec la fonction de garde des Sceaux ? Nous avons posé la question au politologue Stéphane Rozès, président de CAP (Conseil, analyses et perspectives) et enseignant à Sciences-Po et HEC.
- Un ministre de la Justice est-il astreint à un devoir de réserve sur les affaires judiciaires en cours ?
Bien sûr, le garde des Sceaux est astreint à un devoir de réserve dans la mesure où cela procède de la séparation des pouvoirs, entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Le ministre porte en outre une fonction, et la fonction l’oblige. Il ne peut pas s’exprimer comme un simple citoyen (François Bayrou avait affirmé avoir appelé un des responsables de franceinfo en tant que "citoyen", estimant que cela n’avait "rien à voir" avec sa fonction, ndlr).
C’est le danger des polémiques et la difficulté de l’exercice. Il ne peut s’extraire de son poste, la fonction ministérielle doit absolument dépasser la personne. Même si les faits sont justes et réels, des commentaires hasardeux ne peuvent pas être faits. Il peut y avoir des approximations, ou des imprécisions de la part médias, mais le garde des Sceaux doit se garder de tout commentaire.
- François Bayrou va présenter la loi de moralisation de la vie publique. Après cette affaire, est-il encore le mieux à même de porter cette réforme ?
Il ne faut pas exagérer. Il faut juger François Bayrou sur l’exercice de sa fonction, sur les lois mises en place. L’essentiel est la qualité de la loi. Puis les magistrats ont suffisamment été échaudés dans le passé pour ne pas être vigilants. Sous Nicolas Sarkozy, le gouvernement avait instauré un climat de suspicion permanent envers toutes les professions indépendantes, notamment envers les magistrats ou les journalistes.
- Pour le gouvernement, ces propos du garde des Sceaux constituent-ils un danger ?
C’en est un, peut-être, pour la conception verticale que se fait Emmanuel Macron de la présidence. Mais le risque vient, au fond, que Bayrou est persuadé d’être entré au gouvernement à la suite d’un rapport de force politique. Il pense fondamentalement que Macron a repris l’orientation politique qui était la sienne, et qu’il l’a exploitée à son avantage. Le poste de garde des Sceaux devait permettre, pour Emmanuel Macron, de le contenir. Mais du fait du tempérament de François Bayrou, il sera très compliqué de le circonscrire uniquement à sa fonction.