C’est la fin d’un véritable marathon législatif, ou plutôt d’une interminable partie de ping-pong entre les deux chambres du Parlement. La loi sur la prostitution a été définitivement adoptée mercredi par l’Assemblée nationale après deux ans et demi de débats par 64 voix contre 12, en dépit de l’opposition répétée du Sénat, majoritairement à droite. Mesure phare et largement contestée de ce texte : la pénalisation des clients.
Pénalisation du client. Toute personne interpellée en train de monnayer un acte sexuel encourra une amende de 1500 euros, et jusqu’à 3500 euros en cas de récidive, avec une possible inscription au casier judiciaire. Cette mesure inspirée de la Suède, qui pénalise les clients de prostituées depuis 1999, avait cristallisé les passions. En octobre 2013, Causeur publiait un manifeste des 343 salauds, en référence au manifeste pro-avortement "des 343 salopes" de 1971. Intellectuels et figures médiatiques y clamaient : "Touche pas à ma pute !". Finalement, les sénateurs ont rejeté trois fois la mesure. Réintégrée dans le texte examiné une dernière fois par l’Assemblée mercredi, elle continue à alimenter le débat.
Dans un avis publié en décembre 2015, le défenseur des Droit Jacques Toubon estimait qu’elle n’était pas "la plus efficace pour ‘réduire la prostitution et pour dissuader les réseaux de traite et de proxénétisme de s’implanter sur les territoires’, et encore moins ‘la solution la plus protectrice pour les personnes qui resteront dans la prostitution’, comme annoncé dans la proposition de loi."
"La prostitution vue par les Bisounours". Grogne également au moins du côté d'un syndicat de police. Une partie des forces de l’ordre estime qu’à l’heure où la menace terroriste mobilise l’essentiel des effectifs, il sera difficile d’appliquer le texte. "Nous n'irons pas nous cacher dans les bosquets ou les toilettes publiques pour voir s'il y a des commerces charnels. Au début, il y aura peut-être des opérations ciblées pour faire plaisir aux promoteurs de la loi mais, rapidement, le texte ne sera appliqué qu'à la marge", annonce Patrice Ribeiro, secrétaire général du syndicat Synergie Officiers, dans Le Figaro. Surtout, rejoignant l’avis du défenseur des Droits, il estime que le législateur aurait dû accorder la priorité à la lutte contre les réseaux transnationaux : "Cette loi, c'est la prostitution vue par les Bisounours !", conclut-il dans le quotidien.
"Cette mesure a d’abord vocation à être répressive, l’idée c’est de faire de la pédagogie. La peur du gendarme marche très bien chez nous", explique à Europe 1 Maud Olivier, la députée PS de l’Essonne à l’origine du texte. Mardi, le Syndicat du Travail Sexuel, association qui milite pour la reconnaissance d’un statut professionnel aux prostitué(e)s, organisait un rassemblement aux abords de l’Assemblée nationale contre le texte, estimant que celui-ci allait davantage précariser la situation des prostitué(e)s. "90% des personnes concernées demandent à sortir de la prostitution", leur répond Maud Olivier qui affirme que "la non-marchandisation du corps doit devenir un critère de l’égalité homme/femme."
Fin du racolage passif. En 2003 Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait fait instituer un délit de racolage passif. Une infraction que voulait supprimer la nouvelle loi. Si elle avait été réintroduite dans le texte par les sénateurs à une voix près en mars 2015, les députés ont estimé mercredi que les prostituées devaient être considérées "comme des victimes et non plus comme des délinquantes", ainsi que l'indique le texte.
Des mesures d’aides pour sortir de la prostitution. Conséquence directe de la mesure précédente, le texte met en place une série de mesures d’aides et d’accompagnement pour les victimes de la prostitution. Elles bénéficieront d’une aide sociale via la création d’un fond annuel de quelques 4,8 millions d’euros, alimenté par le budget de l’Etat. Le mouvement du NID, association qui milite pour l’abolition du "système prostitueur", a néanmoins estimé que cette somme était insuffisante.
Un titre de séjour. En outre, les personnes prostituées d’origine étrangère peuvent désormais obtenir un titre de séjour d’au moins six mois. "On s’assurera qu’elles veulent réellement sortir de la prostitution, il ne s’agit pas d’aider les réseaux internationaux à s’installer sur notre territoire", avertit Maud Olivier. À cette fin, les conseils départementaux mettront en place, sous l’autorité du préfet, des commissions réunissant associations et représentants de l’autorité pour organiser des parcours de sortie.