Le mot est lâché. Pour la première fois, Manuel Valls a employé l'expression controversée de "guerre de civilisation", lors du Grand Rendez-Vous Europe 1-iTELE-Le Monde, au cours duquel il réagissait aux attentats sanglants de vendredi. Une sortie très remarquée, saluée par la droite mais critiquée à gauche.
Un terme pas anodin. Dimanche matin, le Premier ministre a mis en garde les Français contre "une menace terroriste majeure" qui s'inscrit dans "la durée". "Nous ne pouvons pas perdre cette guerre, parce que c'est au fond une guerre de civilisation. C'est notre société, notre civilisation, nos valeurs que nous défendons", a-t-il déclaré précisément.
Le terme n'est pas anodin : il est devenu politiquement sensible ces dernières années, en raison de la référence au "choc des civilisation", une notion popularisée par les milieux néoconservateurs américains et le président George W. Bush. C'est sans doute la raison pour laquelle Manuel Valls a pris soin de préciser son propos, expliquant que cette "guerre de civilisation" n'était pas un choc "entre l'Occident et l'islam". Cette "bataille" se situe "aussi, et c'est très important de le dire, au sein de l'islam. Entre d'un côté un islam aux valeurs humanistes, universelles et de l'autre un islamisme obscurantiste et totalitaire qui veut imposer sa vision à la société", a expliqué le Premier ministre.
Manuel Valls au Grand Rendez-Vous dimanche :
Manuel Valls : "Nous vivons sous une menace...par Europe1fr
La droite "se réjouit". A droite, on s'est empressé de voir dans ces propos un alignement sur le vocabulaire de Nicolas Sarkozy, qui s'était attiré des critiques en parlant de "guerre à la civilisation" après les attentats djihadistes de janvier. "J'approuve ce qu'a dit Manuel Valls et je salue sa lucidité, même si elle est tardive", a affirmé à Europe 1 Eric Ciotti, député Les Républicains des Alpes-Maritimes. "Nicolas Sarkozy a parlé de cette 'guerre de civilisation' depuis longtemps... Que n'avons nous pas entendu à l'époque ! Nicolas Sarkozy remettait en cause les libertés, la démocratie, il voulait une guerre absolue... Aujourd'hui, je me réjouis que le Premier ministre lève ce tabou qui était ridicule", a déclaré l'élu.
Même son de cloche du côté de Sébastien Huygue, porte-parole des Républicains, pour qui "après avoir insulté pendant des années Nicolas Sarkozy qui le disait, Valls reconnaît enfin que nous sommes dans une guerre de civilisation".
Après avoir insulté pendant des années @NicolasSarkozy qui le disait #Valls reconnaît enfin que nous sommes dans une guerre de civilisation
— Sébastien Huyghe ن (@SebastienHuyghe) 28 Juin 2015
Quant au vice-président du Front national, Florian Philippot, il a nuancé les propos du Premier ministre. "Si c'est le choc des civilisations version George Bush, non merci : ça a donné la guerre d'Irak de 2003, qui a aggravé la situation au lieu de la résoudre". "Si c'est de dire qu'il faut défendre la civilisation française, ses valeurs, ses libertés, bien évidemment, mais on a pas attendu Manuel Valls pour le comprendre", a-t-il ajouté sur Europe 1.
Julien Dray en désaccord avec Valls. Du côté de la gauche, la sortie du Premier ministre fait plutôt grincer des dents. Aucun haut responsable n'a utilisé l'expression depuis les attentats de janvier. D'ailleurs, début janvier, Manuel Valls avait parlé de "guerre contre le terrorisme". Tout en ajoutant : "nous ne sommes pas dans une guerre contre une religion, contre une civilisation".
Julien Dray, le secrétaire national du PS, a expliqué qu'il n'aurait "pas utilisé cette expression". "J'ai un doute" sur l'intérêt de l'utiliser, "parce que je ne crois pas que la civilisation arabo-musulmane est une menace par rapport à la civilisation judéo-chrétienne", a-t-il déclaré dimanche sur BFMTV, mettant en garde contre "des raccourcis idéologiques".
Ce n'est en tout cas pas la première fois que Manuel Valls se permet une incursion sémantique hors du discours classique de son camp. Il avait notamment repris l'expression très disputée d'"islamo-fascisme". Vendredi, pour sa première réaction à l'attentat dans l'Isère, il avait également immédiatement désigné le "terrorisme islamiste". Une expression jamais employée par François Hollande, qui se contente, lui, de parler de "terrorisme".