Marquer de son empreinte la Constitution, tout président de la République y songe à un moment ou un autre. François Hollande n’aura pas ce plaisir. A la sortie du conseil des ministres mercredi, le chef de l’Etat a annoncé qu’il renonçait à réviser la Constitution en y inscrivant l’état d’urgence et la déchéance de nationalité. Après quatre mois de débats qui n'ont débouché sur rien, quelle (s) conséquence (s) cet "échec" aura-t-il pour François Hollande ?
Jean Petaux, professeur de sciences politiques à Sciences Po Bordeaux et Gérard Grunberg, politologue au centre d’études européennes de Sciences Po Paris nous éclairent.
Comment analysez-vous le renoncement de François Hollande ? Est-ce le plus grand échec de son quinquennat ?
Jean Petaux. Je me méfie des superlatifs car il peut en y avoir d’autres ! Mais ce n’est pas la première fois qu’une tentative de réforme constitutionnelle est arrêtée en plein vol. On se souvient notamment de celle d’octobre 1962 sur la révision du mode de suffrage de l’élection du président de la République.
Ce que l’on peut évaluer, c’est la dégradation de ce dossier entre la mise à l’agenda le 16 novembre lors du discours du Congrès et puis ce que c’est devenu. Là pour le coup, il y a eu une descente aux enfers : entre un Congrès debout en standing ovation et puis la situation actuelle. La proposition n’était pas très stable dès le départ avec des ambiguïtés dans la formulation. Et puis les obstacles se sont multipliés.
Gérard Grunberg. Je l’interprète comme le fait que François Hollande n’a pas eu le choix. On savait que la révision constitutionnelle était à l’eau, il en a pris acte. Mais son plus grand échec, c’est le chômage. Les Français se moquaient de cette révision constitutionnelle.
Malgré tout c’est un échec dans sa tentative de se rétablir par une posture de conquête. Et vont s'ajouter à cela sans doute d’autres échecs comme la loi El Khomri.
Le président de la République a-t-il sous-estimé une partie de la gauche ? A-t-il pêché par naïveté en pensant que la droite allait s’allier à lui ?
Jean Petaux. Ni l’un ni l’autre. Hollande a tendance à privilégier l’esthétique du mouvement à l’efficacité. Il est plus dans la construction tactique d’une combinaison que dans la conclusion en faisant bouger le score du tableau d’affichage. En clair, trop de subtilité tue l’efficacité.
Quand on regarde froidement la situation, on a comme souvent une situation d’urgence qui est une pure tragédie avec les attentats. Il y a une tentative de réponse politique pour gérer l’émotion et le choc. Or, ce que l’on constate, c’est que le temps joue contre cette manière de faire de la politique. Le facteur temps édulcore l’émotion. Ce qui peut paraître justifié à un instant T ne l’est plus du tout à froid. Se rajoute à cela le retour des stratégies politiques et des postures. François Hollande a pu imaginer qu’il resterait le maître des horloges mais aujourd’hui l’art de gouverner c’est intégrer le facteur du temps. L’instauration de l’état d’urgence s’est bien passé car ça s’est fait très vite, c’était une réponse à l’émotion. Mais une révision constitutionnelle se fait dans le temps, c’est très compliqué à faire dans l’émotion.
Gérard Grunberg. Il est possible qu’il se soit dit qu’en reprenant un thème de la droite, il pourrait faire passer sa réforme. Mais c’est la gauche qui a fait planter le projet pas la droite, elle a juste donné le coup de grâce.
Ce qui est plutôt étonnant de la part de François Hollande, c’est qu’il a sous-estimé la manière dont une grande partie de la gauche serait choquée moralement par cette discrimination entre deux catégories de Français. Il n’a pu su comment s’en sortir, il a eu tort de s'entêter.
Quelle conséquence a long terme, notamment sur une candidature en 2017 ?
Jean Petaux. Je pense que ça n'améliorera pas sa cote de popularité, mais ça ne va pas la dégrader davantage. Je ne suis pas certain non plus du degré de compréhension de la procédure constitutionnelle par les électeurs qui sont bien plus sensibles à la courbe du chômage. La déchéance de nationalité était un faux débat. Ce n’est pas dessus que se jouera la présidentielle.
Gérard Grunberg. De toute façon, on sait qu’il va faire un score très bas, au mieux 14%. Et ça, il le sait. Il y a une question qui reste maintenant : préfère-t-il une défaite très lourde ou ne pas se présenter ?