S'il est un résultat qui semble déjà acquis pour le 1er tour dimanche des élections régionales et départementales, c'est le faible niveau de participation qui fera une nouvelle fois des plus de 27 millions d'abstentionnistes annoncés le premier parti de France. Il est en revanche un peu plus délicat de prévoir les forces politiques qui pourraient en tirer profit électoralement. Les anticipations des sondeurs convergent en tout cas sur la tendance : "On devrait avoir une abstention absolument historique", a résumé le sondeur Brice Teinturier (Ipsos) vendredi sur France 2.
Vers une abstention de 60% ?
60% des électeurs inscrits ont l'intention de s'abstenir au premier tour des régionales le 20 juin, selon un sondage Ifop pour Sud Radio réalisé les 15 et 16 juin. Un autre sondage Opinionway pour Les Echos réalisé du 9 au 14 juin prévoit lui une abstention à 62%, tandis qu'une enquête Elabe pour BFMTV menée les 15 et 16 juin envisage une fourchette de 59% à 64%. Cela constituerait un niveau record pour un premier tour des élections régionales, bien au-dessus des 50,09% du scrutin de 2015 et surtout du précédent pic de 2010 (53,67%).
Ce nouveau désaveu électoral confirmerait une tendance lourde des dernières décennies que le quinquennat Macron n'aura pas réussi à inverser, avec plus de la moitié des électeurs boudant les urnes depuis son élection à chaque suffrage, des législatives de 2017 aux municipales de 2020, à l'exception notable du sursaut inattendu des européennes de 2019 (50,12% de participation).
Démocratie de l'abstention
"On continue de s'inscrire dans une démocratie qui devient de plus en plus une démocratie de l'abstention", résume la politiste Céline Braconnier. "On s'attend plutôt à une accentuation de l'abstention parce que vont se cumuler aux facteurs structurels (socio-économiques) des facteurs liés à la crise sanitaire et aussi aux questionnements des citoyens de plus en plus importants à l'égard de la politique, des institutions, des professionnels de la politique", explique sur France Culture la professeure de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye.
Parmi les raisons expliquant l'abstention, selon un sondage Viavoice pour Libération, les Français placent en tête le fait que "les candidats et leurs projets ne répondent pas aux attentes des Français" (44%), devant leur "lassitude face aux débats politiques" (42%), le fait que "les élus et dirigeants politiques ne comprennent pas les préoccupations des Français" (41%), et "la volonté de manifester un mécontentement à l'égard des politiques" (37%).
"Atonie de la campagne, illisibilité des règles du jeu et de l'offre politiques, nationalisation des enjeux: les citoyens peinent à s'approprier ce double scrutin", déplore pour sa part Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l'université de Lille dans une tribune publiée par Libération. Il est vrai que la pandémie, en empêchant par exemple les grands meetings et les porte-à-porte jusqu'au 9 juin, n'a pas facilité le travail de mobilisation électorale.
"Electorat RN chauffé à blanc"
Mais certains partis pourraient néanmoins tirer leur épingle du jeu, grâce à ce que les spécialistes des élections appellent la mobilisation différentielle, que le sondeur Frédéric Dabi (Ifop) résume ainsi: "avec une abstention si forte, ce qui serait intéressant de voir ce sont les logiques de mobilisation entre des camps qui vont voter massivement et d'autres qui vont sûrement s'abstenir plus fortement que la moyenne".
"L'abstention profite aux électorats les plus mobilisés, c'est-à-dire habituellement aux extrêmes", met en garde le président du MoDem François Bayrou.
Pierre Lefébure, politiste de l'Université Sorbonne-Paris Nord, penche aussi pour cette hypothèse. "Plus l'abstention monte et plus, en pourcentage des votes exprimés, les offres extrêmes sur le spectre politique ont à y gagner", "surtout le RN avec un électorat très motivé et chauffé à blanc par un matériel électoral qui met partout en avant la photo de Marine Le Pen à un an de la présidentielle", explique-t-il à l'AFP.
Et pas certain, selon lui, que l'on assiste au second tour à un regain de mobilisation comme celui qui avait permis en 2015 de faire barrage au Front national dans plusieurs régions. "Pour cela il faudrait une grande clarté politique pour que ce soit très lisible pour les électeurs intermittents, et là, avec les tergiversations sur le front républicain, ça n'en prend pas le chemin", avertit-il.