La séquence politique cacophonique de la révision constitutionnelle s'est achevée, mercredi, dans la douleur pour François Hollande. A l'issue du Conseil des ministres, le président a été contraint d'abandonner son projet de réforme. "J'ai décidé, après m'être entretenu avec les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, de clore le débat constitutionnel", a-t-il déclaré depuis le salon Napoléon III. Si cette formule permet au chef de l'Etat d'éviter de parler de renoncement, il s'agit pourtant bien d'une ultime reculade, après quatre mois d'allers et retours incessants.
Au Congrès sous les applaudissements. Tout avait pourtant commencé par une ovation de la classe politique dans sa quasi-totalité. Trois jours après les attentats du 13 novembre à Paris, François Hollande, devant un Parlement réuni en Congrès, annonce qu'il va présenter une révision de la Constitution. Dans cette réforme, le président prévoit d'inclure une extension de la déchéance de nationalité, jusque-là réservée aux terroristes binationaux ayant acquis la nationalité française, aux binationaux qui sont nés avec. Dans un premier temps, la gauche ne réagit pas, avant de nourrir un feu de critique nourri sur une mesure qu'elle juge à la fois inefficace et stigmatisante pour une partie des Français.
Fiasco de communication. A ce moment-là déjà, la majorité semble si divisée que le gouvernement apparaît prêt à renoncer. Manuel Valls lui-même prend ses distances avec la mesure, estimant la déchéance de nationalité plus symbolique que réellement efficace pour lutter contre le terrorisme. De son côté, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, va jusqu'à annoncer, le 22 décembre, à la télévision algérienne, que le dispositif ne sera pas retenu. Le lendemain pourtant, elle est mise en porte-à-faux. La révision constitutionnelle présentée en Conseil des ministres comporte bel et bien un article sur la déchéance de nationalité des binationaux condamnés pour terrorisme. Un coup de théâtre qui, s'il permet à François Hollande de rester sur la même ligne que son discours devant le Congrès, ressemble fort à un fiasco de communication.
Des concessions et une démission. Le feuilleton connaît un nouveau rebondissement, et pas des moindres, à la fin du mois de janvier. Le gouvernement revoit sa copie et décide, finalement, de ne pas faire allusion à la binationalité, afin de ne pas "stigmatiser". Un geste destiné à apaiser la gauche, qui se double d'une concession faite à la droite : la déchéance de nationalité pourra être appliquée en cas de condamnation pour un délit, et non seulement pour un crime. Le jour même de l'annonce, le 27 janvier, Christiane Taubira démissionne en évoquant un "désaccord politique majeur" sur le dossier.
La droite se déchire. La gauche n'est pas la seule à s'écharper sur la déchéance de nationalité. A droite aussi, la mesure fait des remous. Le président des Républicains, Nicolas Sarkozy, y est favorable. Mais des voix dissonantes se font entendre, notamment celle de Nathalie Kosciusko-Morizet ou Benoist Apparu. Début février, François Fillon change d'avis et annonce qu'il votera contre le texte, mettant Nicolas Sarkozy en difficulté. Le patron de la droite essuie une nouvelle défaite lorsque, quelques jours avant le scrutin à l'Assemblée nationale, le groupe Les Républicains ne parvient pas à arrêter une "position unanime" sur la réforme constitutionnelle.
Blocage au Sénat. Le gouvernement obtient néanmoins une première victoire le 10 février, lorsque le texte est adopté par l'Assemblée nationale. Mais le répit est de courte durée. Le 22 mars, le Sénat, majoritairement à droite, adopte une version profondément remaniée de la réforme constitutionnelle. Sur l'article 1, qui constitutionnalise l'état d'urgence, la chambre haute renforce ses propres prérogatives et celles du Conseil constitutionnel. Sur l'article 2 et la déchéance de nationalité, elle réintroduit le principe de binationalité et supprime son application en cas de délit. Retour à la case départ.
"On arrête les frais, tant mieux". Dès lors, la réforme est dans l'impasse. Un accord entre les sénateurs et les députés, indispensable dans le cas d'un texte constitutionnel, semble impossible. François Hollande l'a bien compris. "Un compromis paraît même hors d'atteinte sur la définition de la déchéance de nationalité", a-t-il noté mercredi. Tentant de sauver ce qui peut l'être, le président a rejeté la faute de l'échec du texte sur la droite sénatoriale. "Je constate qu'une partie de l'opposition est hostile à toute révision constitutionnelle. Je déplore profondément cette attitude." Une ligne de défense difficile à tenir après quatre mois de guerre ouverte à gauche. Et qui laisse au sein de la classe politique le sentiment d'un gâchis, résumé par Nathalie Kosciusko-Morizet mercredi : "On a perdu beaucoup de temps, beaucoup d'énergie. On arrête les frais, tant mieux."