Nicolas Sarkozy a déjeuné mardi avec Angela Merkel, et il a tout fait pour que cela se sache. C’est qu’à l’approche de 2017, l’ancien chef de l’Etat tient à re-présidentialiser son image, et une rencontre avec la chancelière allemande peut évidemment renforcer sa stature internationale. Le problème, c’est qu’en face, l’enthousiasme n'était pas vraiment partagé. Logique, entre un chef du gouvernement en place et un ancien président, même s'ils ont collaboré pendant cinq ans. Depuis le départ de l’Elysée de Nicolas Sarkozy en 2012, de l’eau a coulé sous les ponts, et le couple "Merkozy" n’est forcément plus ce qu’il était.
"Un interlocuteur de poids". Pour l’ancien président de la République, déjeuner avec Angela Merkel est un moyen de critiquer l’actuel. "Le déjeuner avec Mme Merkel sera le moment de rappeler l'importance centrale du moteur franco-allemand, qui est indispensable pour l'Union. Or, ce moteur ne fonctionne pas aujourd'hui", affirmait lundi Philippe Juvin, le porte-parole des Républicains. Pour l’eurodéputé, cela montre aussi "que notre parti se préoccupe de la place de la France dans le monde et que le président Sarkozy reste un interlocuteur de poids pour les gouvernements étrangers".
Reçu en toute discrétion. Cette dernière affirmation risque pourtant de se confronter à la réalité des faits. Car Angela Merkel a décidé de se contenter du service minimum avec son invité du jour, si important qu'il fût, mais qui n'est plus aujourd'hui qu'un candidat à la présidentielle de 2017. D’abord, comme l’évoque Le Monde, la rencontre n’apparaît pas dans l’agenda officiel de la Chancelière. Ce n’est pas en tant que chef du gouvernement allemand qu’elle le reçoit, mais plutôt en tant que leader de la CDU, le parti conservateur allemand. Point de rendez-vous donc à la Chancellerie, mais au siège du parti, qui organise mardi le Wirtschaftsrat, un conseil économique. C’est bel et bien dans ce cadre que Nicolas Sarkozy a fait le déplacement. L’ancien président a d’ailleurs rencontré, après le déjeuner, des chefs d’entreprise allemands et devait participer à une table ronde avec notamment Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances. Mais c'était sans Angela Merkel.
Migrants, Russie, Turquie, des sujets qui fâchent. Service minimum donc. Cela s’explique aisément par le statut de Nicolas Sarkozy. Mais aussi, peut-être par les critiques de ce dernier, qui n’a pas ménagé, ces derniers mois, son ancienne partenaire. Notamment sur la crise des migrants. L’Allemagne s’était montrée particulièrement généreuse en matière d’accueil. "La solidarité pour répartir des dizaines de milliers de migrants pour lesquels nous n’avons pas d’emplois en Europe, c’est une folie", avait rétorqué, en mai 2015, Nicolas Sarkozy, visant clairement le voisin d’outre-Rhin. Depuis, l’ancien chef de l’Etat a réitéré à plusieurs reprises ses critiques, évoquant tour à tour un appel d’air et une fuite d’eau en évoquant le flot de réfugiés, que Berlin a accueilli à bras ouvert.
D’autres dossiers ont depuis distendu les relations entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. La question russe d’abord. L’ancien président de la République rencontre régulièrement Vladimir Poutine, que la chancelière allemande n’apprécie guère. Mercredi dernier, il était reçu à Saint-Pétersbourg par le président russe. "Je ne peux pas accepter l'idée d'un nouveau mur, un mur politique cette fois-ci, d'une guerre froide entre la Russie et le continent européen", avait déclaré Nicolas Sarkozy, appelant à une levée des sanctions entre les deux blocs, quand Berlin continue de réclamer le respect par Moscou des accords de Minsk de 20105 sur le conflit à l’est de l’Ukraine.
Enfin sur la question turque, Nicolas Sarkozy a nommément ciblé son hôtesse du jour. Dans son viseur : l’accord passé entre l’Union européenne et Ankara pour que les migrants puissent être accueillis dans de bonnes conditions en Turquie, mais aussi les négociations entre les deux parties pour une future intégration. "C'est une humiliation pour l'Europe de se laisser manipuler par les autorités turques. La levée de l'obligation de visas est une folie dans le contexte sécuritaire et migratoire que nous connaissons", a lâché l’ex-président le 8 mai dernier dans Le Figaro. "Et l'UE ouvre de nouveaux chapitres de négociation en vue de l'adhésion d'un État qui ne figure même pas sur la liste des pays sûrs au titre de l'asile! A-t-on vu plus grande incohérence? Ajoutez-y que Mme Merkel a négocié seule, directement avec le président Erdogan…" Un peu plus d’un mois plus tard, Angela Merkel n’a probablement pas oublié ces déclarations.
Hollande, le seul vrai interlocuteur. La chancelière allemande a de la mémoire, mais aussi de la logique. Nicolas Sarkozy n’est plus président de la République, il est donc hors jeu. L’interlocuteur d’Angela Merkel, c’est François Hollande, et même si les deux leaders européens ne sont pas du même bord, c’est ensemble qu’ils doivent gérer les crises que l’Union européenne doit affronter. Et le référendum sur le Brexit en Grande-Bretagne n’est pas la moindre. En cas de sortie du Royaume-Uni de l’UE, c’est avec lui qu’elle décidera de la marche à suivre.