Juin 1994. Sur le plateau de L'Heure de vérité, Ségolène Royal répond au journaliste Alain Duhamel. Les questions tournent autour des nationalisations d'entreprises et celle qui est alors députée des Deux-Sèvres hésite, trébuche et tergiverse, avant de répondre qu'elle y est favorable. Sur le banc des spectateurs, une autre femme socialiste, Martine Aubry, a du mal à cacher son agacement.
Ces images en disent long sur la relation houleuse qu'ont entretenue, pendant près de 25 ans, la maire de Lille et la ministre de l'Environnement. C'est précisément à leur rivalité que Maud Guillemin s'est intéressée dans La Guerre des roses, nouveau documentaire de la collection "Duel" diffusé jeudi soir, à 22h15 sur France 5. Pendant un peu moins d'une heure parsemée d'archives et de témoignages de proches, la réalisatrice retrace les parcours de Ségolène Royal et Martine Aubry, entre alliances de circonstance, coexistence pacifique et conflit ouvert.
" Martine Aubry a toujours eu un jugement très sévère sur Ségolène Royal "
Différence de méthode et de vision. Le documentaire pointe les différences de méthode et de vision des deux femmes pourtant censées être dans le même camp. Quand Martine Aubry est apparue dès le départ comme un grand espoir du Parti socialiste, appelée à exercer les plus grandes responsabilités, Ségolène Royal s'est, elle, hissée au sommet à la force de l'audace. La première est connue pour sa rigueur, sa connaissance des dossiers et sa discrétion dans les médias. La seconde a développé un goût pour la communication inégalé, allant jusqu'à inviter les caméras et les objectifs dans la chambre de la clinique dans laquelle elle avait accouchée quelques heures plus tôt. "Martine Aubry a toujours eu un jugement très sévère sur Ségolène Royal", explique ainsi Françoise Degois, ancienne journaliste devenue conseillère spéciale de cette dernière.
Mitterrand en mentor. Les deux femmes doivent beaucoup à François Mitterrand, qui leur a offert leurs premiers postes ministériels. Martine Aubry a été nommée ministre du Travail dès 1991. Ségolène Royal l'a rejointe au gouvernement, à l'Environnement, l'année suivante. Par la suite, elles n'ont jamais semblé sur le même tempo. Martine Aubry s'est écartée de la vie politique nationale après l'alternance de 1993 et sa défaite aux législatives, tandis que Ségolène Royal a été l'une des rares socialistes à survivre au marasme en l'emportant dans les Deux-Sèvres. En 1997, la situation s'inverse avec le retour des socialistes au gouvernement. Martine Aubry est n°2 de l'exécutif, toujours au Travail. Ségolène Royal n'est que ministre déléguée à l'Enseignement scolaire. Elle prendra sa revanche en devenant, à partir de 2004, l'incarnation de la reconquête de la gauche.
" Peut-être qu'elles se ressemblent trop "
La rupture de Reims. Maud Guillemin montre très bien que ces rivalités ont rythmé la vie du Parti socialiste, jusqu'à atteindre un paroxysme pendant le Congrès de Reims de 2008 et la courte victoire de Martine Aubry pour le poste de premier secrétaire. Ces dissensions ont même pu nuire parfois à la carrière des deux principales intéressées. Ainsi, en 2007, Martine Aubry ne soutiendra ouvertement Ségolène Royal que tardivement dans la course à l'Elysée. Tandis qu'en 2011, Ségolène Royal préfèrera s'allier à François Hollande après sa défaite au premier tour de la primaire à gauche, alors qu'un ticket avec la maire de Lille aurait peut-être pu l'emporter.
Sûrement est-ce l'ancienne ministre de l'Environnement, Dominique Voynet, qui résume le mieux la relation entre celle qui évite les journalistes et celle qui leur ouvre toujours la porte, entre Aubry la rigoureuse et Royal l'intuitive. "C'est comme dans les très vieux couples. Vous ne savez plus pourquoi ça a commencé. Peut-être qu'elles se ressemblent trop."