Sondages, Zemmour, partis à la peine... analyse d'une présidentielle 2022 "déstructurée"

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Invité d'Europe 1 jeudi matin, le politologue Jérôme Jaffré a livré son analyse de la campagne présidentielle, entre la percée d'Eric Zemmour, à prendre avec prudence, et les difficultés de la droite comme de la gauche traditionnelle. Selon lui, "les présidentielles sont déstructurées et les campagnes un peu folles".
ANALYSE

La scène politique française a changé en 2017, et les secousses s'en ressentent encore à la veille de 2022. Voilà, en somme, l'analyse que livre le politologue Jérôme Jaffré sur Europe 1 jeudi matin. La percée d'Éric Zemmour dans les sondages, à prendre avec prudence mais sérieux, les difficultés de la gauche mais surtout, plus étonnamment, de la droite traditionnelle, le socle dont bénéficie Emmanuel Macron... le spécialiste a passé au crible cette campagne si particulière. Et résume la situation ainsi : "les présidentielles sont déstructurées, les campagnes sont devenues un peu folles."

Éric Zemmour dans les sondages, bulle médiatique ou signal d'alerte ?

Pour la première fois mercredi, Éric Zemmour, écrivain et polémiste qui n'est pourtant pas candidat mais expose ses idées à la droite de la droite sur tous les plateaux, a été donné qualifié pour le second par une enquête d'opinion. Une donnée à prendre avec beaucoup de prudence pour Jérôme Jaffré. "Compte tenu des marges d’erreur, on a trois candidats potentiels pour le second tour" selon cette enquête, en plus d'Emmanuel Macron qui arrive en tête, note le spécialiste. En outre, "les Français ne sont pas du tout encore dans la décision de leur vote pour la présidentielle."

Néanmoins, ces études nous "indiquent un climat et définissent la stratégie des acteurs", explique Jérôme Jaffré. Parce qu'Éric Zemmour perturbe la campagne, "tout le monde se positionne par rapport à lui". Cela ne signifie pas nécessaire qu'une fois candidat, s'il l'est, il sera effectivement en position de force, mais "c'est une donnée politique". 

 

"La réussite de Zemmour, c’est les thèmes", poursuit Jérôme Jaffré. "Il inscrit la campagne présidentielle dans le récit national, il parle de la France. Alors que les candidats présentaient des mesures par domaines, ce qui n'est pas le niveau de la présidentielle telle que les Français le voient. Ils s’inquiètent de la situation de la France, de l’abaissement du pays." Éric Zemmour n'a pas dit autre chose mercredi soir sur Europe 1 lorsqu'il a estimé, alors qu'on l'interrogeait sur son manque de propositions concrètes pour un potentiel futur candidat, que cela ne relevait pas du président mais bien du Premier ministre et du gouvernement.

Éric Zemmour a "installé une vision" sur l'immigration, la sécurité, "l'idée, inspirée de Trump, qu'il faut reprendre le contrôle du pays", selon Jérôme Jaffré. "Probablement est-il très minoritaire dans les réponses qu’il propose, mais le diagnostic intéresse."

Rien ne dit, enfin, que le polémiste que Jérôme Jaffré classe à la "droite extrême" va pouvoir capitaliser sur sa popularité actuelle. "Il bénéficie du fait qu’il n’est pas encore candidat et n’appartient pas à la classe politique. Il apparaît comme un gigantesque lanceur d’alerte." Mais "le jour où il se déclarera candidat, et vous remarquerez qu’il ne cesse de le retarder, il rentrera dans la classe politique." Tout risque donc de changer. "À ce moment-là se posera la question d’avec qui il va gouverner, si ce qu’il propose va participer à la cohésion du pays ou non."

Pourquoi la droite ne pèse pas plus ?

C'est peut-être le plus surprenant : la droite, affaiblie par les affaires Fillon en 2017 alors que la victoire lui semblait promise, n'arrive pas à se relever. "Les Républicains sont totalement percutés par Zemmour", note Jérôme Jaffré. Ce n'est pas uniquement parce que ce dernier vient chasser, en radicalisant encore le diagnostic, sur ses thèmes de prédilection. Mais aussi parce qu'il apparaît plus moderne. "Renvoyer [la désignation du candidat LR] à un congrès, ça n’est pas un accélérateur pour le candidat désigné. La droite se retrouve spectatrice d’un duel qui se jouerait entre Macron et le bloc MLP-Zemmour", analyse Jérôme Jaffré.

"Depuis la présidentielle 2017, les structures politiques ne sont plus les mêmes", poursuit-il. Mais "la droite est aussi percutée dans son logiciel", et là ce n'est pas uniquement lié à Éric Zemmour. "Ce qu’elle mettait en avant jusqu’à présent, quand on relit le programme de Fillon en 2017, c’est la baisse des fonctionnaires, des remboursements, des dépenses publiques bref, tout un programme de bonne gestion. Or, la pandémie, le 'quoi qu’il en coûte', a balayé ces thématiques." Et les "Français de droite sont bien davantage sur les problèmes d'unité du pays".

Qu'est-ce qui plombe la gauche ?

Alors qu'il y a "des demandes sur l'écologie, sur l'égalité", la gauche aussi devrait pouvoir tirer son épingle du jeu. Pourtant, ce n'est pas le cas et selon les enquêtes d'opinion là encore, la socialiste Anne Hidalgo ne recueillerait qu'un peu plus d'un tiers des voix des sympathisants socialistes. "La gauche est divisée mais elle n’arrive pas non plus à installer des thèmes. Elle n’est pas écoutée actuellement", confirme Jérôme Jaffré. Son problème ? "On a l’impression que ce qui l’intéresse, c’est la définition de la primauté interne en son sein. Est-ce le courant écologiste, le courant socialiste ou le courant radical de Jean-Luc Mélenchon qui sera majoritaire à gauche ? Cela n’intéresse pas du tout les Français." 

Emmanuel Macron est-il intouchable ?

Le président sortant semble, lui, largement en tête dans les enquêtes d'opinion. "Emmanuel Macron est toujours présent au second tour avec environ un quart des suffrages", reconnaît Jérôme Jaffré, mais "ce chiffre ne bouge pas, quelle que soit sa cote de popularité" ou la faiblesse de ses adversaires. Est-ce là sa limite ? Peut-être, d'autant que l'arrivée de Zemmour dans le débat public perturbe un duel avec Marine Le Pen qui aurait bien servi le chef de l'État, celui-ci comptant capitaliser sur le vote anti-Le Pen. "Le fait nouveau, c’est qu’Emmanuel Macron ne connait plus son adversaire", résume le politologue.

En revanche, il a "toujours l'avantage de dépasser les notions classiques de gauche et de droite au moment où elles sont en crise".