Manuel Valls est allé très loin ce week-end dans sa volonté de se présenter à l’élection présidentielle. Trop loin pour François Hollande ? L’avenir (proche) le dira, mais en donnant une interview très remarquée au Journal du Dimanche, le Premier ministre a déclenché une crise larvée inédite dans l’histoire politique récente au sein du couple exécutif. Pour Jean Garrigues, historien politique, professeur à l’université d’Orléans et à Sciences-po, auteur de Présidents. Au cœur du pouvoir (éditions du Faune), Manuel Valls est dans une position délicate, en attendant le choix de François Hollande. L’universitaire estime même que le Premier ministre aurait tout intérêt à ce que le Président se présente.
En questionnant publiquement la légitimité de François Hollande, Manuel Valls ne s’est-il pas contraint lui-même à la démission de son poste de Premier ministre ?
Evidemment, ça pose question. C’est un problème unique dans l’histoire politique. Cela peut faire penser à la situation de Georges Pompidou dans les mois qui ont précédé le départ du général de Gaulle, quand il se disait alors prêt à se présenter, mais il n’était déjà plus Premier ministre. Il y a déjà eu des confrontations entre les deux têtes de l’exécutif, mais c’était après des cohabitations. Cela dit, l’interview ne contient pas d’attaques personnelles contre François Hollande et n’exprime pas de décision formelle. Cela laisse la porte ouverte à une discussion.
On sait toutefois que depuis les conséquences de l’ouvrage de Fabrice Lhomme et de Gérard Davet, il prépare l’hypothèse d’une candidature et exerce une pression psychologique sur François Hollande. D’ailleurs, cette volonté n’est pas infondée. L’image de Manuel Valls est meilleure dans l’opinion, notamment au niveau de cette autorité, indispensable à la présidentialité, et qui n’existe plus pour François hollande.
Alors pourquoi ne décide-t-il pas tout simplement de se déclarer candidat et à quitter Matignon ?
D’abord parce que sa capacité de rassembler la gauche apparaît problématique. Son espace politique est très restreint, avec à sa gauche Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, et à sa droite Emmanuel Macron qui en plus lui a enlevé cette image de rénovateur. Il y a ensuite cette thématique de la trahison, avec le déclenchement d’une crise de régime. Et ce même si cette expression est exagérée. Il y a bien une crise au sommet de l’Etat, mais elle n’est pas le fait de Manuel Valls. Elle est due à l’affaiblissement de la fonction présidentielle. La situation est aussi inédite au niveau de l’absence de leadership.
Enfin, dernier handicap pour Manuel Valls, en tant que Premier ministre, il est solidaire et incarne la politique gouvernementale. Si François Fillon a gagné la primaire, c’est parce que le temps était passé et qu’il avait marqué la rupture avec Nicolas Sarkozy très rapidement. Pour Manuel Valls, la rupture, c’était il y a trois semaines. Ça va donc être très difficile pour lui de se soustraire au bilan du quinquennat. Il cumule donc les handicaps, et c’est pour ça qu’il ne faut pas aller plus vite que la musique.
Dans ce cas pourquoi, au contraire, ne pas simplement affirmer qu’il ne sera pas candidat, quoi qu’il arrive ?
Si François Hollande n’y va pas, il est presque automatiquement obligé de se présenter. D’abord parce qu’il donnerait l’impression que le bilan du quinquennat n’est assumé par personne. Autant la solution proposée par Claude Bartolone (président de l’Assemblée nationale, ndlr) qu’il se présente tous les deux à la primaire serait désastreuse, en termes d’image et politiquement, autant si aucune des deux têtes de l’exécutif n’y va, ce n’est pas beaucoup mieux. Ensuite, et surtout, parce qu’il laisserait le champ libre à Arnaud Montebourg et autres Emmanuel Macron. Il serait le seul à abandonner le terrain.
Cela dit, je pense que son intérêt personnel, c’est de se mettre en retrait, à l’écart, pour ne pas à avoir à assumer l’échec probable de la gauche en 2017. De laisser François Hollande se présenter et prendre une part marginale à la campagne, en le soutenant du bout des lèvres et en marquant sa différence, puis en ayant une place centrale dans la reconstruction de la gauche après 2017. Bref, de laisser le président de la République assumer seul le bilan et s’en détacher. C’est d’ailleurs ce qu’il a commencé à faire.