Un vif échange par médias interposés, et au milieu, une victime collatérale. Lundi, Manuel Valls et Tariq Ramadan se sont interpellé à distance, sur la question de la possible accessibilité à la nationalité française du théologien et islamologue suisse. Dans cet échange verbal, le nom de Clémentine Autain a été cité par le Premier ministre, dans des conditions qui n’ont pas franchement plu à la porte-parole d’ "Ensemble !", l’une des composantes du Front de gauche. Décryptage d’une polémique qui prend de l’ampleur.
- La controverse Valls-Ramadan
Ramadan veut "devenir français". La genèse de l’affaire remonte en fait à février dernier. Dans un post Facebook intitulé "Devenir français", le très controversé Tariq Ramadan, né à Genève de parents égyptiens, annonce son intention de "prendre la nationalité française". "A l'heure où l'on parle, avec quelque désordre et fracas, de la déchéance de la nationalité, je pense qu'il est bon de donner un exemple concret et positif d'adhésion aux valeurs de la République. Suisse toujours, et français bientôt, je n'en poursuivrai que mieux mon engagement pour le vivre-ensemble, pour ce "nouveau nous" que j'appelle de mes voeux", écrivait l’universitaire spécialiste de l’Islam.
Valls dit clairement "non". Ce n’est que trois mois plus tard que Manuel Valls, invité de Radio J, se positionne. Et il est clairement contre. "Il n'y a aucune raison pour que M. Tariq Ramadan obtienne la nationalité française", a affirmé le Premier ministre dimanche. "Quand on aspire à être Français, c'est qu'on aspire à partager des valeurs". Or, le message de Tariq Ramadan est "contradictoire" avec les valeurs de la France. L’universitaire a, il faut dire, été plusieurs fois au cœur de controverses. Tariq Ramadan est accusé par plusieurs intellectuels, dont Caroline Fourest ou Pierre-André Taguieff, conseiller du Crif, d’être trop ambigu sur des sujets comme la lapidation des femmes, l’antisémitisme ou l’homosexualité. Petit-fils du fondateur des Frères musulmans et proche de l’UOIF, le théologien est suspecté d’intégrisme mâtiné de double discours.
De l’interprétation du "défaut d’assimilation". Suffisant donc pour que Manuel Valls prenne une position claire contre sa naturalisation. Pourtant, Tariq Ramadan assurait y avoir "droit dans (s)a situation". L’universitaire est en effet marié depuis 1986 à une Française et est père de quatre enfants français. Il affirme par ailleurs avoir des activités depuis longtemps en France. "J’ai un bureau, un petit appartement. Toutes mes activités européennes se font à partir de Paris. Toute ma culture est francophone et je suis français de cœur", disait-il dans Libération le 7 février 2016. A l’entendre donc, Tariq Ramadan remplit les critères d’une nationalisation par mariage tels qu’édictés par la loi. A savoir être marié depuis plus de 5 ans, ne pas séjourné irrégulièrement en France, parler parfaitement français au titre de l’assimilation, et ne pas avoir été condamné pour un crime ou un délit.
Tariq Ramadan semble donc remplir les cases, mais le Code civil offre au ministère de l’Intérieur, dernier décideur, une certaine latitude, via le "défaut d'assimilation". Celui-ci peut être "caractérisé notamment par le fait de répandre des thèses extrémistes manifestant un rejet des valeurs essentielles de la société française", peut-on lire dans une décision du Conseil d'Etat d'octobre 1998 précisant l’article 21-4 du Code civil. A entendre Manuel Valls, ce "défaut d’assimilation" est caractérisé.
Le tweet ironique de Ramadan. Pour l’heure, en guise de réponse à Manuel Valls, Tariq Ramadan s’est contenté d’un tweet ironique, dans lequel il fait référence à la légion d’honneur très controversée attribuée au prince Mohammed ben Nayef d’Arabie saoudite pour raisons diplomatiques. Et aux avions Rafale, que la France espère vendre à Ryad.
Dites Monsieur Manuel Valls, si je ne demande que la légion d'honneur, vous me la donneriez? Cet "honneur" que vous vendez en Rafales. Deal?
— Tariq Ramadan (@TariqRamadan) 22 mai 2016
- Autain dans la polémique
L’incarnation de l’islamo-gauchisme, selon Valls... Mais alors que vient faire Clémentine Autain dans cette querelle ? C’est en fait Manuel Valls qui a lâché le nom de la porte-parole d’"Ensemble !" Le Premier ministre a en effet dénoncé sur Radio J "l'islamo-gauchisme". "Il y a toujours ces capitulations, ces ambiguïtés, avec Les Indigènes de la République, les discussions avec Mme Clémentine Autain et Tariq Ramadan, ambiguïtés entretenues qui forment le terreau de la violence et de la radicalisation". Là encore, la polémique n’est pas neuve.
… et Le Guen. L’expression "islamo-gauchisme" a été inventée par Jean-Marie Le Guen dans son livre La gauche qui vient, publié en avril dernier. Déjà, le secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement avait évoqué Clémentine Autain, accusée d’"incarner" cette gauche qui, pour des raisons compassionnelles, en ne voyant les personnes d'origine arabo-musulmane que comme des victimes et des opprimés, cette gauche est prête à céder totalement au différentialisme culturel". Et déjà, la conseillère régionale avait vivement réagi, par le biais d’une tribune publiée par Le Monde. "Que signifie 'islamo-gauchiste' ? Jamais je n'ai défendu le 'différentialisme culturel', je suis profondément universaliste et laïque, mais je défends la mixité culturelle, comme une richesse", écrivait-elle. "Je suis vent debout face à cette caricature inouïe de mes positions. Je pense que l'objet de ces attaques est ailleurs..."
Autain menace. Cette fois, Clémentine Autain menace tout bonnement d’attaquer en justice. "Je vais porter plainte contre Manuel Valls s'il ne présente pas ses excuses. Il faut que cela cesse", a insisté auprès de l'AFP l’ancienne conseillère de Paris. "Ces propos sont mensongers. Je n'ai jamais rencontré personnellement Tariq Ramadan, ni partagé de tribune avec lui. Ces accusations ineptes visent à dire que moi-même, et à travers moi ma famille politique, seraient le terreau du terrorisme", a dénoncé Clémentine Autain.
En cause : une tribune et un meeting. Si la porte-parole d’"Ensemble !" est ainsi assimilée à Tariq Ramadan, c’est pour deux raisons. D’abord parce qu’en 2005, elle avait signé l’appel des Indigènes de la République contre l’islamophobie, avant, rappelait Le Figaro en décembre 2015, de retirer sa signature justement parce que "pour le public, le texte est devenu celui de Ramadan". Mais le quotidien révélait dans le même article qu’"Ensemble!" appelait alors ses militants et sympathisants à se rendre à un meeting en Seine-Saint-Denis auquel participait… Tariq Ramadan. "Il s’agissait d’un meeting contre l’état d’urgence qui avait un objectif parfaitement juste. ‘Ensemble’ n’a pas souhaité y participer car justement il y avait Tariq Ramadan. Pour autant, dans la salle et à la tribune, nous estimions que nous y comptions de nombreux alliés et c’est pourquoi nous avons mis cette information sur notre site Internet", se justifie lundi Clémentine Autain au Monde.
Valls maintient. Des explications qui n’ont, semble-t-il, pas convaincu Manuel Valls. "Je dis les choses telles qu'elles sont. Quand il y a des ambigüités, c'est la cohésion nationale qui est en péril. Je maintiens ce que j'ai dit", a réaffirmé lundi le Premier ministre sur BFMTV.