Le symbole est fort. Un discours d'une heure, prononcé par le président de la République lui-même, intégralement dédié aux violences sexistes et sexuelles dont les femmes sont régulièrement victimes. Samedi, Emmanuel Macron a mis en œuvre l'une de ses promesses de campagne : faire de la lutte contre ces violences une "grande cause nationale de son quinquennat".
Avec, au menu, toute une série de mesures qui s'articulent autour de trois axes. D'abord, l'éducation et le "combat culturel" à mener contre le sexisme. Puis, l'accompagnement des victimes. Enfin, des modifications législatives destinées à renforcer la répression des actes de violence envers les femmes. Mais certains détails quant à la mise en œuvre et au financement de ces initiatives manquent encore.
Des mesures accueillies favorablement... Nombre de ces mesures sont accueillies en principe favorablement par les associations féministes et les acteurs qui œuvrent déjà aux côtés des femmes victimes de violences. Ainsi, le "combat culturel en faveur de l'égalité", à mener auprès des plus jeunes, convainc assez largement. Qui pourrait s'opposer au fait que, comme l'a résumé Emmanuel Macron, "l'éducation reste le principal levier de lutte contre les violences faites aux femmes" ? Que "l'école est un pilier indispensable" pour apprendre aux plus jeunes le respect et l'égalité ?
…au moins sur le principe. Mais les moyens pour mettre en œuvre ce combat culturel ne font pas l'unanimité. Emmanuel Macron a ainsi appuyé sur la responsabilité du CSA, qui devrait voir ses prérogatives étendues non plus seulement à l'audiovisuel, mais aux contenus sur Internet et aux jeux vidéo, alors que l'instance a déjà toutes les peines du monde à contenir le sexisme à la télévision, se contentant pour l'instant d'avertissements.
Par ailleurs, la proposition d'introduire des interventions sur la pornographie à l'école pour protéger la jeunesse est considérée au mieux comme une non-priorité par les associations féministes, au pire comme une façon de céder aux sirènes de mouvements réactionnaires. Le lien entre violences sexuelles et consommation de pornographie n'a, en effet, jamais été démontré, comme le rappelle Slate dans cet article. "Les preuves d'une relation causale entre l'exposition à la pornographie et les agressions sexuelles sont minces et ont pu, parfois, être exagérées par des politiciens, des groupes de pression et certains chercheurs en sciences sociales", écrivent deux chercheurs américains, cités par le pure player. "Le débat a pu se focaliser sur la pornographie violente, mais les faits permettant d'attester du moindre effet négatif sont inconséquents."
Caroline de Haas et Osez le féminisme auraient ainsi préféré qu'un "brevet obligatoire de la non-violence" soit donné aux collégiens, plutôt que des cours de prévention contre la pornographie.
Plutôt qu’un brevet obligatoire de la non violence au collège, le Président propose une intervention sur le porno dans les réunions de rentrée des parents.#Nocomment
— Caroline De Haas (@carolinedehaas) 25 novembre 2017
La formation fait l'unanimité… Les annonces successives d'Emmanuel Macron sur la meilleure formation de divers professionnels, des médecins aux gendarmes en passant par les policiers et les agents du service public, répondent en revanche à une revendication de longue date des associations féministes. Nombre d'entre elles se félicitent aussi de la création de dix unités de soins psychotraumatiques pour les victimes, soins qui seront pris en charge par la Sécurité sociale. La facilitation des procédures de dépôt de plainte, avec notamment l'introduction d'une pré-plainte sur Internet, fait aussi l'unanimité. "Pourquoi pas, cela peut être tout à fait utile", a reconnu ainsi la députée France Insoumise et militante féministe Clémentine Autain, samedi, sur Europe 1. "Mais derrière, il faut qu'on ait des moyens humains pour traiter ces plaintes et accompagner ces femmes."
…pas le budget. Le problème, c'est que toutes ces actions ne resteront que des vœux pieux en l'absence de moyens supplémentaires. Et que si Emmanuel Macron a promis d'augmenter le budget du secrétariat d'État à l'égalité des femmes et des hommes de Marlène Schiappa en 2018, les associations féministes se sont empressées de rappeler la réalité des chiffres. D'environ 27 millions d'euros en 2017, le budget de ce secrétariat d'État, qui n'est d'ailleurs pas un ministère de plein exercice contrairement à ce que le candidat avait promis pendant la campagne présidentielle, passera à 30 millions l'an prochain. Soit "un euro par femme", aime rappeler Caroline de Haas, porte-parole d'Osez le féministe.
Un plan "sans moyens afférents". L'enveloppe interministérielle consacrée à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles s'élèvera à 420 millions d'euros en 2018 et doit être "sanctuarisée", a encore promis Emmanuel Macron. Mais, pour l'instant, le fléchage de ces crédits n'a pas été dévoilé. "Nous avons besoin de moyens concrets", a martelé Clémentine Autain. "Ce qui m'inquiète, c'est d'avoir un plan avec des mesures mais sans moyens afférents."
Le travail dans "l'angle mort". Caroline de Haas, de son côté, dénonce les "angles morts" de ce plan. "Le premier, c'est le travail", expliquait-elle dès vendredi sur Europe 1. "Il y a 20% des femmes qui ont subi du harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. On a l'impression que ça n'existe pas dans l'univers d'Emmanuel Macron alors que les entreprises, le monde du travail, ça fait partie de son ADN politique." Les annonces du lendemain l'ont confortée dans cette idée, en dépit de la promesse de testings à grande échelle pour débusquer les entreprises qui discriminent les femmes à l'embauche ou pendant leur carrière. "Seule parole sur le travail : des testings. Aucune proposition pour faire appliquer la loi sur la prévention du harcèlement sexuel", a écrit la militante féministe sur Twitter. "C'est lunaire."
Seule parole sur le travail : des testings. Aucune proposition pour faire appliquer la loi sur la prévention du harcèlement sexuel (80% des entreprises hors la loi)
— Caroline De Haas (@carolinedehaas) 25 novembre 2017
C’est lunaire. #IlvapasêtreauRDV
Les récentes modifications introduites par les ordonnances de réforme du code du Travail, et notamment la fusion des instances du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avec celles du comité d'entreprise et des délégués du personnels, font également craindre des difficultés, pour les femmes, à faire remonter les violences sexistes et sexuelles subies en entreprise.
Des précisions attendues sur l'arsenal répressif. Enfin, concernant l'arsenal législatif et le durcissement de la répression à l'égard des agresseurs, les acteurs de terrain sont souvent attentistes, parfois circonspects. Emmanuel Macron a confirmé une promesse de campagne en annonçant la création d'un "délit d'outrage sexiste", verbalisable immédiatement et puni d'une amende au "montant dissuasif". Mais ce qu'il recouvre exactement reste à définir, et son applicabilité à éprouver. "Les faits [pouvant être qualifiés d'outrage sexiste] demandent encore à être précisés", admettait la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, sur France Inter il y a un mois. Ils le restent toujours.
Des précisons sont également attendues sur la présomption de non-consentement des mineurs aux relations sexuelles. Emmanuel Macron s'est dit personnellement favorable à introduire un seuil à l'âge de 15 ans, au-dessous duquel le mineur serait automatiquement non-consentant. Un seuil réclamé par les associations féministes mais qui fera l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale. Mais est-ce une présomption irréfragable, c'est-à-dire qu'il n'est pas possible d'apporter la preuve contraire ? Cela n'a pas été détaillé, au grand dam de Laure Salmona, cofondatrice du collectif des Féministes contre le cyber-harcèlement.
Présomption de non consentement alignée sur l’âge de la majorité sexuelle : 15 ans mais pas irréfragable et rien de spécifiquement prévu pour les situations d’inceste.#PasAuRDV#GrandeCauseEgalite
— Laure Salmona (@curiosarama) 25 novembre 2017
Débat sur la prescription. Enfin, l'allongement du délai de prescription des crimes sexuels sur les mineurs, qui doit passer de 20 à 30 ans, suscite quant à lui des réactions tranchées. Certaines associations féministes auraient préféré que ces crimes soient imprescriptibles. Du côté des acteurs du droit en revanche, beaucoup critiquent cet allongement du délai de prescription, qui augmenterait le risque de non-lieu, faute de preuves.