Edouard Philippe est homme à assumer. Il le revendique souvent haut et fort. Alors quand éclate une polémique sur les conditions de son retour de Nouvelle-Calédonie, dans la nuit du 5 au 6 décembre dernier, le Premier ministre ne se défile pas. "Je l'assume complètement cette décision", a-t-il déclaré mercredi sur RTL.
La décision, c’est celle d’avoir choisi d’embarquer dans un vol privé, avec plusieurs ministres et une soixantaine de personnes, plutôt que de poursuivre le trajet dans l’avion militaire, moins confortable, qui avait transporté tout ce beau monde depuis Nouméa. Et qui est rentré à vide à Paris. Coût de l’opération : 350.000 euros supplémentaires. Edouard Philippe a dit "comprendre parfaitement à la fois la surprise et les interrogations", sans en démordre : "je l'assume tellement que je veux l'expliquer". Mais c’est précisément là que, parfois, les difficultés commencent vraiment.
Premier argument : un voyage moins cher que celui de son prédécesseur
Ce qu’Edouard Philippe a dit. Edouard Philippe ne s’en cache pas : le voyage en Nouvelle-Calédonie a été cher. "Je reconnais que les sommes, dès qu’on parle des déplacements du Premier ministre ou du Président, sont toujours impressionnantes", a-t-il admis. Et d’ailleurs, "le voyage total de Nouvelle-Calédonie a coûté beaucoup plus cher que ces 350.000 euros", a-t-il affirmé. Mais le Premier ministre l’assure : "J’essaye de faire en sorte de limiter au maximum les frais." Et d’asséner son premier argument : le voyage a coûté "nettement moins cher, 30% moins cher, que le voyage identique de mon prédécesseur en Nouvelle-Calédonie".
Les faits. Difficile de vérifier ce genre d’affirmations. D’abord parce que Matignon n’est pas très disert sur le sujet. Selon l’AFP toutefois, l’ensemble des vols d’Edouard Philippe et de toute la délégation française a coûté 1,38 million d’euros pour le déplacement en Nouvelle-Calédonie. Ensuite, et surtout, parce qu’on ne peut comparer que ce qui est comparable. Or, en avril-mai 2016, Manuel Valls - puisque c’est lui, le "prédécesseur" évoqué par Edouard Philippe - ne s’était pas contenté d’un déplacement en Nouvelle-Calédonie et le voyage n’était donc pas "identique". Il s’était aussi rendu en Nouvelle-Zélande et en Australie. Pour autant de vols, et donc de coûts, supplémentaires.
L’ancien Premier ministre n’a pas manqué de le préciser sur Twitter, ajoutant dans une petite pique s’être lui contenté s’emprunter l’A340 présidentiel. Même s’il précise, grand seigneur, qu’"un déplacement de ce type est toujours très coûteux".
Je me suis rendu dans le Pacifique du 27 avril au 2 mai 2016.J’ai pu disposer de l’A340 présidentiel à l’aller et au retour.Après 3 jours en Nouvelle-Calédonie,je me suis rendu 24h en Nouvelle-Zélande et qq heures en Australie.Un déplacement de ce type est toujours très coûteux.
— Manuel Valls (@manuelvalls) 20 décembre 2017
Deuxième argument : il fallait assurer la continuité de l’Etat
Ce qu’a dit Edouard Philippe. En affrétant le fameux vol, Matignon a fait gagner deux heures à Edouard Philippe. Le Premier ministre a atterri à Paris à 7h30, contre 9h30 pour l’A340 de l’armée qui aurait pu le ramener dans l’Hexagone. Raison invoquée : Emmanuel Macron devait, ce mercredi matin, s’envoler pour l’Algérie. "On savait qu'il n'y avait pas de vol commercial à l'heure où on allait rentrer. Et on savait qu'il fallait rentrer pour un élément impératif qui est que le président partait le mercredi matin de notre retour", a expliqué Edouard Philippe. "La règle, c’est que dans toutes les mesures du possible, on essaye de faire en sorte que le Premier ministre ou le président de la République soit sur le territoire national", a-t-il précisé.
Les faits. En fait de règle, il s’agit surtout d’un usage de la 5ème République, qui veut qu’au moins une des têtes de l’exécutif soit en permanence en France. Un usage que certains ont d’ailleurs allègrement bafoué. Le général De Gaulle et Valéry Giscard d’Estaing l’ont ainsi respecté scrupuleusement, moins Nicolas Sarkozy et François Hollande. Le premier a ainsi pris des vacances au Brésil en décembre 2008 quand son Premier ministre, François Fillon, était en Egypte. Le second a été critiqué en juin 2015 car il était à Bruxelles pendant l’attentat de Saint-Quentin Fallavier, alors que Manuel Valls était en Colombie.
Pour autant, depuis l’élection d’Emmanuel Macron, jamais le président de la République et son Premier ministre ne se sont rendus à l’étranger en même temps. Le couple exécutif semble donc vouloir respecter cet usage non écrit. Cela dit, Emmanuel Macron a décollé pour l’Algérie le mercredi matin à 9h30. Pile quand l’avion de l’armée qui aurait pu ramener Edouard Philippe a atterri. La continuité de l’Etat sur le sol français aurait donc pu être assurée.
Troisième argument : Il y avait un Conseil de défense
Ce qu’ont dit des soutiens d’Edouard Philippe. Heureusement pour lui, Edouard Philippe n’a pas utilisé cet argument mercredi matin. Heureusement, car il est totalement faux. Dans un premier temps, les services de Matignon ont fait valoir à l’AFP que si Edouard Philippe devait rentrer plus tôt, c’était pour participer au Conseil restreint de défense, qui a lieu chaque mercredi matin à 9 heures, avant le Conseil des ministres.
Deux députés La République en marche ont repris cet élément à leur compte mercredi matin : Gabriel Attal sur Franceinfo, et surtout Richard Ferrand, patron des députés LREM, sur France 2. "Ce que je sais, c’est que le Premier ministre qui a tout de même quelques obligations hein - ce n’était pas un voyage touristique en Nouvelle-Calédonie - devait rentrer plus vite pour un Conseil de défense et donc il a fait en sorte d’arriver à l’heure pour travailler, pas pour se promener", a répondu, agacé, l’élu du Finistère.
Les faits. Or, comme l’a remarqué Le Lab d’Europe 1, en raison précisément du voyage d’Emmanuel Macron en Algérie, les deux rendez-vous hebdomadaires avaient été déplacés au vendredi suivant, le 8 décembre. L’argument, donc, ne tient pas.