"Quand je vous entends parler comme ça, vous me rappelez énormément un jeune Tony Blair. Est-ce que ça vous horrifie ? Ou êtes-vous content ?" La question a été posée, dans une émission diffusée dimanche, par Andrew Marr, intervieweur phare de la chaîne de télévision britannique BBC, au ministre de l'Economie français, Emmanuel Macron.
Sans ciller, ce dernier a remercié le journaliste du "compliment". "Je ne sais pas si dans votre bouche, c'est un compliment ou une menace, mais je vais prendre ça comme un compliment", a t-il ajouté. Le patron de Bercy n'a donc pas l'intention de rejeter la comparaison avec celui qui fut Premier ministre britannique entre 1997 et 2007.
Deux jeunes iconoclastes. Par bien des aspects, Emmanuel Macron semble de fait entretenir une certaine ressemblance avec Tony Blair. Tous deux étaient jeunes lorsqu'ils ont obtenu leur premier poste politique d'envergure : Emmanuel Macron est arrivé à la tête du ministère de l'Economie avant d'avoir fêté ses 37 ans, tandis que Tony Blair s'est emparé du Parti travailliste à 41 ans. Tous les deux, aussi, se veulent modernes. "L'attitude amicale [d'Emmanuel Macron] – il tutoie plutôt que de vouvoyer – rappelle le début de Blair quand celui-ci essayait de moderniser la politique britannique", écrivait ainsi le journaliste Adam Sage du Times, en janvier dernier, dans un portrait de l'ancien banquier d'affaires.
Par-delà la gauche et la droite. Mais leurs points communs ne s'arrêtent pas à quelques tutoiements et des nœuds de cravate moins serrés. "Là où Emmanuel Macron est le fils lointain de Tony Blair, c'est qu'il cherche à aller au-delà du clivage gauche/droite", explique Marc Lazar, historien spécialiste des gauches européennes, à Europe1.fr. "Ce sont des gens qui ne pensent pas nécessairement que ce clivage n'existe plus, mais en tout cas que ce n'est pas le seul possible." De fait, lorsqu'il a lancé "En marche !", il y a presque deux semaines, Emmanuel Macron a bien précisé qu'il s'agissait d'un "mouvement politique nouveau qui ne sera pas à droite, qui ne sera pas à gauche". Quant à Tony Blair, sa "politique de la troisième voie" mise en œuvre dans les années 1990 s'appuie très largement sur les travaux d'un politologue, Anthony Giddens. Celui-ci en avait posé les principes, dès 1994, dans un ouvrage intitulé Beyond Left and Right (Par-delà la gauche et la droite).
" Là où Emmanuel Macron est le fils lointain de Tony Blair, c'est qu'il cherche à aller au-delà du clivage gauche/droite. "
Accepter la mondialisation. Cette "troisième voie", qui finira d'ailleurs par être surnommée "blairisme", est une sorte de compromis entre le socialisme et le libéralisme. En pratique, cela se traduit par une acceptation de la mondialisation et de la flexibilité économique tout en luttant contre les inégalités que cela crée via des mécanismes de redistribution. Exit l'Etat-providence à tout crin et l'égalitarisme. "Notre tâche aujourd’hui n’est pas de mener les vieilles batailles, mais de montrer qu’il existe une troisième voie, une manière de marier une économie ouverte, compétitive et qui connaît le succès, avec une société juste, décente et humaine", déclare Tony Blair à Malmö, en 1997, lors du congrès du Parti des socialistes européens.
Avec Tony Blair, "la gauche a accepté l'idée que la globalisation crée des inégalités, mais aussi des opportunités. Elle a perdu l'habitude de se lamenter sur la globalisation", résume Marc Lazar. On est très proches de ce que peut prôner Emmanuel Macron en libéralisant les lignes d'autocar ou en encourageant le travail le dimanche en échange de contreparties salariales. "Tous les deux ont comme point commun la volonté d'être très pragmatique."
Un discours qui passe mal au PS. Pour Marc Lazar, si le ministre reprend aujourd'hui des idées largement développées il y a deux décennies outre-Manche, c'est parce que la gauche française a mis très longtemps à s'emparer du débat sur la "troisième voie". "Ce fut l'un des plus grands débats politiques à gauche au XXe siècle", rappelle l'historien. "Il a essaimé dans toute l'Europe, notamment en Allemagne avec Gerhard Schröder. Le seul parti qui ne voulait même pas en parler, c'est le Parti socialiste. Il a mis beaucoup de temps à le faire." Et reste encore majoritairement campé sur des "valeurs traditionnelles de la gauche, comme l'égalité sociale". Rien d'étonnant, donc, à ce que le discours d'Emmanuel Macron soit souvent mal perçu dans son propre camp.
" Tous les deux ont comme point commun la volonté d'être très pragmatique. "
Macron sans parti. Car contrairement à l'ancien Premier ministre britannique, le ministre français n'a pas convaincu la gauche. C'est là que s'arrêtent les comparaisons. "Blair a ouvert sa troisième voie après une longue série de défaites du Parti travailliste, dont il avait réussi à prendre la tête", souligne Marc Lazar. Emmanuel Macron, de son côté, n'a même pas sa carte au PS. La "troisième voie" à la sauce britannique conserve également ses spécificités, notamment une dimension chrétienne et une prise en compte du multiculturalisme à l'anglaise.
La crise est passée par là. Enfin, le contexte est très différent. Depuis la mise en œuvre du blairisme, la crise est passée par là. Et les réformes entreprises outre-Manche n'ont pas permis d'y échapper, à tel point qu'émergent en Europe de nouvelles figures à gauche, comme celle de Jeremy Corbyn, nouveau leader du Parti travailliste et sorte d'anti-Blair. Si le quotidien britannique The Guardian estime donc qu'Emmanuel Macron, "comme Bill Clinton, Tony Blair et Gerhard Schröder, semble, pour l'instant, l'option la moins pire de la gauche", la gauche elle-même est loin d'en être convaincue. Et ce n'est pas une comparaison avec l'ancien Premier ministre britannique qui va redorer l'image du patron de Bercy dans sa propre majorité.