Interdit depuis 2007 en Europe, l'insecticide malathion va être utilisé à partir du mois de septembre en Guyane afin d'éliminer les moustiques, vecteurs de la maladie du Chikungunya. L'épidémie, qui sévit depuis janvier 2014, marque le pas en Martinique et en Guadeloupe mais progresse en Guyane où on enregistre 1.528 cas, dont la moitié à Cayenne.
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Une solution de dernier recours ? Par arrêté du 5 août 2014, le ministère des Affaires sociales et de la Santé octroie par dérogation l'autorisation d'épandre en Guyane le malathion sur une durée de 180 jours. Le ministère justifie cette utilisation par "la résistance des moustiques vecteurs de Guyane à l'adulticide deltaméthrine et de l'absence de produits adulticides de subsitution, il convient d'autoriser l'utilisation du malathion à des fins de lutte anti-vectorielle". La préfecture s'inquiète aussi du risque de l'expansion de la maladie dans toute la Guyane, alors qu'elle est pour l'instant concentrée dans les principales villes.
Pourquoi le malathion fait-il peur ? Le malathion est un insecticide et un neurotoxique. Il est particulièrement efficaces contre les acariens et les insectes suceurs (moustique, mouche, puceron). Mais en se décomposant, le malathion devient du malaoxon. Ce composant chimique est particulièrement toxique et considéré comme 60 fois plus nuisible que la malathion.
Christophe Duplais, chimiste au CNRS, s'inquiète de cet épandage sur le site France-Guyane : " Ça tue tout. Pulvériser, ça veut dire que le produit va dans les jardins, les fruits, les légumes. De plus, le malathion s'attaque aussi aux insectes dits utiles, comme les abeilles. Sur les zones aquatiques, il s'avère nocif pour les populations d'amphibiens". Le scientifique dénonce aussi la résistance que les moustiques pourraient développer mais selon l'Agence régionale de santé de Guyane, la durée d'autorisation de 180 jours a été calculée pour éviter justement que le moustique développe ses défenses.
Le moustique tigre, vecteur du Chikungunya.
Une population inquiète. En Guyane, des citoyens se sont mobilisés pour interdire l'utilisation du malathion. Une pétition a été lancée, dénonçant "l'impact d'un tel produit" et prévenant sur "le risque sanitaire" encouru par la population, qui par ailleurs "n'a pas été consultée, ni informée".
Interdit en Europe. L'Europe a interdit le malathion en 2007, officiellement pour des raisons administratives. Le fabricant n'avait alors pas renouvelé son autorisation de mise sur le marché pour être utilisé dans le cadre d'une lutte anti-vectorielle. Cependant, dans sa décision, la commission européenne précisait qu'"certain nombre de sujets de préoccupation ont été identifiés au cours de l’évaluation de cette substance active". Notamment, "il n’a pas été démontré que l’exposition estimée des consommateurs résultant de l’ingestion aiguë et chronique de cultures comestibles est acceptable, en raison des informations insuffisantes".
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Déjà utilisé sur préconisation de l'OMS. En 1999, les États-Unis ont utilisé une fois le malathion dans la région de New-York pour éradiquer le virus du Nil occidental. Au Canada, la ville de Winnipeg l'utilise tous les ans depuis 2007 pour limiter la prolifération des moustiques. Et le site du ministère de la Santé canadien démontre la non-dangerosité de cet insecticide, avançant par exemple la rapidité avec laquelle il disparaît du sol ou des eaux de surface.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui considère le malathion comme peu dangereux pour l'homme, le recommande mais avec précaution : se calfeutrer avec ses animaux domestiques, mettre à l'abri jouets, linge, aliments, protéger particulièrement les personnes "à risque" (enfants, femmes enceintes).
Or, les recommandations de l'OMS ne semblent pas toujours appliquées, en Nouvelle-Calédonie par exemple, où le malathion est utilisé cette année. Sur une vidéo de Nouvelle-Calédonie 1ère, on voit un camion épandre le produit dans les rues de Nouméa à proximité de piétons. Les autorités de la ville préconisent même d'ouvrir grand les fenêtres quand les épandeurs passent à proximité.
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