Des bracelets qui mesurent votre condition physique, votre rythme cardiaque ou votre exposition au soleil, des balances qui envoient l'évolution de votre poids sur votre téléphone, des brosses à dents qui vous indiquent les zones les moins bien brossées ou encore des vêtements qui mesurent la température de votre nourrisson… Les objets connectés n'ont jamais été aussi nombreux. Le volume mondial des applications mobiles santé est d'ailleurs passé de 6.000 en 2010 à 100.000 en 2013, selon le quotidien des médecins. Le journal évoque même 15 milliards d’objets connectés dans le monde, et trois millions achetés en France.
>> Pour une liste complète, vous pouvez aller voir par ici
Un dynamisme d'innovation qui peut, s'il est encadré, représenter une aubaine pour la santé des Français. Le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) s'est d'ailleurs saisi de la question. Dans un livre blanc présenté cette semaine et intitulé "Santé connectée, de la e-santé à la santé connectée", les professionnels de la santé formulent plusieurs recommandations. La plus audacieuse : "envisager que ces objets soient pris en charge par la collectivité". En clair, qu'ils soient remboursés par la Sécu. Une bonne idée ? On a essayé d'y voir plus clair.
Oui, à condition de faire le tri. Pour les médecins, à l'heure actuelle, ce serait de la folie. Dans tous les objets et applications en circulations, il faut d'abord faire le tri entre ce qui est vraiment utile ou non. C'est ce que le CNOM réclame dans son livre blanc. Il promeut une "régulation adaptée, graduée et européenne". Et surtout, l'Ordre souligne la nécessité d'une évaluation scientifique "neutre" d’experts "sans lien d’intérêt avec les fournisseurs", en particulier dans le domaine de la télémédecine, la médecine à distance. "Dès lors que l’évaluation des applications et objets connectés aurait effectivement reconnu leurs bénéfices sur la santé individuelle et/ou collective, il serait cohérent d’envisager qu’ils soient pris en charge par la collectivité", insistent les professionnels.
Une fois le tri fait, l'utilité des objets connectés séduit d'ailleurs largement chez les médecins. Selon un récent baromètre Odoxa/MNH/Orange Healthcare, 81% des médecins interrogés estiment que "la santé connectée est une opportunité pour la qualité de soins", 93% que c'est utile pour la prévention des risques. Les patients aussi, d'ailleurs, sont enthousiastes. Selon un sondage TNS-Sofres, 89% des Français estiment que ce type d'objets contribuerait à améliorer leur santé et celles de leurs proches.
Oui, à condition de surveiller les données. Mais outre le tri, il faut résoudre la question des données. Plus de la moitié des médecins et le tiers des Français interrogés estiment en effet qu'il y a un risque pour le secret médical. Car les données collectées par une balance connectée ou une appli sur smartphone peuvent facilement tomber entre de mauvaises mains. C'est pourquoi, réclame l'Ordre, aucun remboursement ne doit se faire sans fixer une règlementation stricte : les données ne doivent pas se retrouver sur internet, le fabricant ne doit pas les communiquer sans accord du consommateur, etc.
La CNIL, la Commission nationale informatique et liberté, s'est aussi penchée sur le sujet. Preuve que le secteur est encore loin d'être réglementé, elle a publié en novembre dernier un certain nombre de recommandation pour les utilisateurs :
- utiliser, si possible, un pseudonyme pour partager les données;
- ne pas automatiser le partage des données vers d'autres services (notamment vers les réseaux sociaux);
- ne publier les données qu'en direction de cercles de confiance;
- effacer ou de récupérer les données lorsqu'un service n'est plus utilisé.
"Il faudra faire attention à la manière dont se constituent les bases de données et comment on peut utiliser les statistiques qui en découlent", a également prévenu la ministre de la Santé, Marisol Touraine, en décembre dernier, qui a mis en place une "équipe dédiée".
Oui, mais il faut en chiffrer le coût. Cette "équipe dédiée" devra aussi régler la question du coût d'un éventuel remboursement par la Sécu de ces objets. Outre certaines applications, gratuites, les objets les plus pointilleux peuvent en effet coûter plusieurs centaines, voire milliers d'euros.
Pour les fabricants, ça ne fait pas de doute : à long terme, ce sera rentable pour la Sécu. "D’un côté, le vieillissement démographique entraîne une augmentation des besoins et une forte hausse des dépenses de santé. De l’autre, il faut maîtriser les dépenses et lutter contre la désertification médicale. Les objets connectés offrent un moyen de sortir par le haut de ce dilemme, en permettant de faire mieux et moins cher. D’abord en créant de véritables réflexes de prévention chez les personnes saines ou à risques, ensuite en permettant de mieux suivre les malades à distance", argumente ainsi Alexis Normand, chargé de développement chez Withings, une start-up française en pointe dans le secteur.
Mais les fabricants n'ont pas encore convaincu tout le monde : selon TNS-Sofres, 85% des Français craignent l’impact financier sur les malades et les familles, 41% s'inquiètent des coûts financiers pour la société.
Et les mutuelles santé, dans tout ça ? Conclusion : il faut prendre moult précautions avant d'investir les deniers de la Sécurité sociale, et donc des contribuables. Mais qu'en pensent les assurances santé privées ? Elles commencent également à se saisir de la question. AXA, par exemple, a lancé une expérimentation auprès de certains adhérents, en partenariat avec Withings. L'idée : offrir des réductions sur ses services à ceux qui s'équipent, et se servent, de bracelets qui mesurent l'activité physique.
Le groupe Istya, qui regroupe MGEN, MNT, MGET, MAEE, MCDEF et MGEFI, réfléchit également à la manière de guider ses adhérents sur les applications ou objets à se procurer. "Il est aussi tout à fait envisageable d'imaginer des réseaux de santé, comme pour les lunettes ou les prothèses dentaires, dans le cadre desquels nous négocierons des tarifs sur les objets connectés pour nos adhérents", nous explique-t-on encore chez Istya.
Mais là encore, il faudra encadrer. Car les dérives possibles sont légions. "Ceux qui refuseront de voir leur activité surveillée paieront plus cher leur assurance, voire n'y accéderont plus. Ou de façon plus pernicieuse, ceux qui accepteront de porter des objets connectés qui permettent à l'assurance de vérifier leur comportement auront le droit à des réductions tarifaires, mais devront alors s'interdire le moindre écart de conduite pour continuer à bénéficier des remboursements prévus au contrat", s'inquiète ainsi Guillaume Champeau gérant fondateur de Numerama. Et de conclure : "c'est ainsi la liberté individuelle qui risque de se dissoudre".