Taboue, difficilement diagnosticable, longue rémission, l'addiction est un mal dont on aimerait vraiment se passer et qui affecte tout notre entourage. Au micro de Julia Vignali et Mélanie Gomez, Jean-Pierre Couteron, addictologue, psychologue clinicien et porte-parole de la Fédération addiction et Jérôme Adam, producteur du film Tout pour être heureux ? traitant de l'addiction, sont venus partager leur expertise. Et pour aider, il faut d'abord reconnaître. Qu'est-ce qu'une addiction ? Qui peut être susceptible d'en développer une ? Et surtout, que faire ?
Qu'est-ce que c'est concrètement l'addiction ?
"L'addiction, c'est la perte de contrôle d'une substance psychoactive ou désormais d'un appareil, d'un comportement, qui nous permet d'avoir des effets psychoactifs. C'est la perte de contrôle. Avant, c'est de l'usage. Si je me sers de mon téléphone portable, c'est de l'usage. Si, je n'arrive pas à doser le temps que je passe sur mon téléphone portable, je rentre dans des comportements addictifs", explique Jean-Pierre Couteron.
Selon le spécialiste, l'addiction est un trouble complexe, car elle possède deux versants : un versant maladie et un versant "comportement social", à savoir comment l'addict interagit avec le monde et avec ses proches.
Est-on tous égaux face à l'addiction ?
Certains milieux sociaux, certaines tranches d'âge semblent être plus exposés aux risques addictifs, mais pour le clinicien, il n'y a pas forcément de prédispositions, plutôt des vulnérabilités. "Il y a effectivement des vulnérabilités sociales qui font que, selon les milieux sociaux, selon les conditions de vie, on peut avoir des paramètres. Mais il y a aussi des vulnérabilités psychiques. Selon les histoires de vie, si on a vécu un traumatisme, qu'on a des difficultés familiales", détaille-t-il.
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"Et puis il y a des vulnérabilités physiologiques, génétiques. Il n'y a pas un gène de l'addiction, mais il y a des paramètres qui font qu'on n'a pas le même physique et qu'on n'aura pas la même réaction à la substance. Donc tout ça se mélange, peut s'équilibrer. L'effet positif de l'un peut rencontrer l'effet négatif de l'autre. Mais effectivement, le principe de base à savoir, c'est qu'on n'est pas égaux et que ce qui marche pour l'un ne marche pas forcément pour l'autre."
Une constante semble pourtant se dessiner : c'est à l'adolescence que majoritairement les risques addictifs se présentent.
Comment reconnaître une personne addicte ?
Selon Jean-Pierre Couteron et Jérôme Adam, qui a perdu son frère à cause de l'addiction et a motivé la création de son film, en cas de doute, il faut surveiller le comportement du proche et notamment s'il perd le contrôle. "Donc les signes qui montrent que la personne n'arrive pas à être à la hauteur du contrôle, qu'elle dit encore vouloir avoir. Qu'elle s'engage à faire telle chose à telle heure et qu'elle ne le fait pas. Qu'elle s'engage à ne pas reboire le soir même alors qu'elle va le faire… Ce sont ces signes-là", précise l'addictologue.
"J'ai compris très vite que [mon frère] consommait, qu'il avait des problèmes de consommation parce qu'il y a eu des attitudes avec des épisodes délirants pendant la nuit, des épisodes où il avait piqué des médicaments de ma mère pour compenser et trouver certains effets", raconte Jérôme Adam.
Il y a également des signes physiques pour certaines addictions : l'ivresse alcoolique, l'euphorie avec un produit comme le cannabis, des états d'excitation avec des produits stimulants comme la cocaïne. Et si ces deux types de signes persistent et qu'on les a repérés, c'est à ce moment-là que le sujet peut être abordé.
Comment ne pas la braquer ?
"Souvent, le piège dans lequel on va tomber, c'est de lui en parler pour lui dire tout de suite : 'Arrête !' Or, il n'a pas immédiatement envie qu'on lui dise d'arrêter parce que pour lui, ça fonctionne encore comme une solution. Ça vient calmer une angoisse, ça vient calmer quelque chose. La première étape, c'est de lui dire qu'on voit qu'il consomme, qu'on imagine que ça lui sert à quelque chose et que c'est de ça dont on aimerait parler. C'est de voir à quoi ça lui sert", explique le clinicien.
Pour Jérôme Adam, la question de l'amour est très importante. "Il y a tout un travail de déculpabilisation à effectuer vis-à-vis de la personne addicte. Maintenant, l'amour, ce que j'essaye de dire dans le film, c'est qu'il doit être présent et donc qu'il faut rester présent, tendre la main. Mais ça ne suffit pas forcément et surtout, on ne peut pas faire à la place de l'autre. Donc c'est tout ce dosage entre accepter son impuissance et être présent malgré tout qui est fondamental", confie le réalisateur. À l'inverse, la séparation ou la menace d'un éloignement peut aussi agir comme un déclic, mais il faut faire très attention et l'effet n'est pas systématique.
Où l'emmener et que faire ?
Si la personne addicte reconnaît sa maladie et accepte d'en discuter, plusieurs choses sont possibles. "La majorité des addicts s'en sort sans aller consulter les professionnels", indique Jean-Pierre Couteron. Pour certaines addictions, comme la cigarette ou le téléphone portable, il est possible de "réaménager son environnement, son entourage. C'est la fameuse histoire : j'ai rencontré quelqu'un, j'ai un boulot", ajoute le psychologue.
Avec un peu de différence en intensité, on n'est pas obligé d'aller consulter. Cependant, plus on rentre dans des problématiques complexes où il y a des problèmes psychopathologie, des histoires de vie, des vulnérabilités, plus cela est difficile d'en sortir seul. Dans ces cas-là, il est préférable d'être suivi par un médecin. "Il y a beaucoup d'endroits pour aller consulter. Il y a des médecins en ville qui sont intéressés par les questions d'addiction, des centres spécialisés, médico-sociaux, des centres de soins, d'accompagnement et de prévention", détaille le professionnel. Enfin, des médicaments, prescrits par le médecin, peuvent aider à réduire les effets de l'addiction.