Cannabis thérapeutique : pourquoi la France a pris du retard

  • Copié
, modifié à

Un comité d'experts a donné son feu vert, jeudi, à l'autorisation du cannabis thérapeutique. Mais la France accuse déjà du retard par rapport à ses voisins. Pour la mise sur le marché de telles substances médicales, il faudra d'ailleurs attendre.

C'est une première étape qui en appelle forcément d'autres. Jeudi, le comité de treize experts mis en place par l'Agence française de sécurité du médicament (ANSM) a jugé "pertinent" d'autoriser, sous conditions, l'usage du cannabis à visée thérapeutique en France. La ministre de la Santé Agnès Buzyn avait déjà ouvert la porte à une telle avancée, ces derniers mois.

Pour cela, il faudra néanmoins attendre : les premiers traitements ne devraient pas être disponibles avant fin 2019. Car le dossier est aussi sensible que les blocages sont nombreux. À tel point que la France est souvent épinglée pour sa lenteur dans ce dossier.

La France en retard par rapport à ses voisins

"C'est peut-être un retard que la France a pris quant à la recherche et au développement du cannabis médical. D'autres pays l'ont fait", avait reconnu la ministre, en juillet dernier. Pas besoin d'aller bien loin pour le constater : 21 pays de l'Union Européenne, parmi lesquels l'Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Portugal, la Grèce ou l'Italie l'autorisent déjà, sans compter la Suisse, la Norvège, Israël et la Turquie. Sans compter, non plus, 33 États américains, le Canada, l'Uruguay, l'Australie ou encore le Lesotho, seul pays africain de la liste… Au total, 1,4 milliard de personnes y ont accès sur la planète.

Blocages sur les prix

Et la France, dans tout ça ? On l'ignore souvent, mais la commercialisation de médicaments à base de cannabis a déjà été autorisée… En théorie. Car en pratique, aucun n’a jamais été disponible sur le marché.

Des médicaments à base de cannabinoïdes, comme le Marinol et l'Epidiolex, sont certes accessibles, mais uniquement avec une autorisation temporaire nominative. Leur usage ne concerne donc qu'une centaine de personnes chacun. En réalité, un seul médicament, le Sativex, censé combattre les raideurs et contractions musculaires de la sclérose en plaques, a obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM) en 2014. Près de cinq ans plus tard, il n’est toujours pas commercialisé, faute d’accord entre le laboratoire et les autorités de santé. Le Comité économique des produits de santé (Ceps), qui fixe le prix des médicaments, proposait 70 euros. Le fabricant, lui, en demandait 350, selon Le Parisien. Dans les 18 pays européens qui le commercialisent, le Sativex coûte en moyenne 440 euros.

"Lorsque le prix sera fixé, des personnes vont avoir accès à ces médicaments", avait promis Agnès Buzyn au printemps dernier. Les patients attendent toujours. Et cela devrait durer. D'autant que la Haute autorité de santé (HAS) estime que le "service médical rendu" par le Sativex est "faible"...

Le docteur Olivier Bertrand, membre de l'association NORML, qui milite pour la légalisation du cannabis, conteste cet avis. "La question du prix de vente est une manière de détourner le débat : le Sativex fait l'objet d'un blocage administratif qui cache une volonté politique", accusait-il auprès de l'AFP, au mois de mai.

Les politiques freineraient-ils du pied ?

Il n'est pas le seul à montrer l'exécutif du doigt. Dans le Journal du Dimanche, le député LREM de la Creuse Jean-Baptiste Moreau réclamait le 4 décembre dernier à son gouvernement la légalisation du cannabis thérapeutique. Une tribune qui faisait suite à celle publiée l'été dernier dans Le Parisien, et signée par plusieurs élus PS, LREM, EELV ainsi que des médecins, soulignant la nécessité d'aller "plus vite".

 

Les demandes des patients sont elles aussi de plus en plus pressantes. Une jeune femme de 27 ans atteinte de cancer du sein a même récemment saisi le Comité éthique et cancer, comparant l'interdiction actuelle à "un refus de soins". La réponse de l'instance consultative sonne comme un désaveu des autorités : "Aucun des arguments possiblement en défaveur d'une telle consommation ne lui est apparu de nature à continuer de l'interdire".

Le joint a longtemps cristallisé les angoisses

"Le débat sur le cannabis est très difficile à ouvrir en France", observe l'addictologue Michel Reynaud, président du Fonds Actions Addictions. "Il existe une peur qu'en entamant une réflexion sur le cannabis thérapeutique, on ouvre la porte" à la légalisation du cannabis récréatif, explique-t-il à l'AFP.

Cette peur s'est longtemps cristallisée autour du joint, objet de fantasme ultime. Certains "voudraient aller vers l’autorisation d’utiliser la cigarette de cannabis comme du cannabis médical et là, un certain nombre de recherches sont en cours dans différents pays pour savoir si vraiment cela apporte un plus par rapport aux médicaments en comprimés. […] Je l’ai dit au Parlement, j’attends des notes de mes services pour savoir quelle est la différence entre le cannabis en comprimés et le cannabis en cigarettes pour savoir si nous devons aller plus loin", éludait ainsi Agnès Buzyn il y a cinq mois.

"Partout où le cannabis thérapeutique est disponible, ce n'est pas la forme fumée qui est privilégiée", tranche auprès de l'AFP Nathalie Richard, spécialiste des stupéfiants et des psychotropes à l'ANSM. Ce problème semble désormais derrière nous. Dans son avis rendu jeudi, le comité d'experts exclut en effet "la voie d'administration fumée", compte tenu des risques pour la santé, particulièrement le risque cancérigène. Un proche du dossier confie par ailleurs à Europe 1 qu'une telle autorisation n'aurait pas été cohérente avec les politiques publiques censées faire diminuer la consommation de tabac. Selon toute vraisemblance, il s'agira donc de gélules, de tisanes ou d'inhalations, grâce à un système de vapotage.

Au moins un an pour régler les (nombreux) détails

À l'image des voies d'administration, le comité d'experts nommé en septembre pour un an va désormais devoir détailler les modalités de mise en œuvre d'une éventuelle commercialisation.

Le gouvernement devra-il légiférer par loi ou par décret ? Les médicaments seront-t-ils remboursés par la Sécurité sociale, comme en Allemagne, ou à la charge du malade, comme aux Pays-Bas ? Où les patients pourront-ils s'en procurer : dans les pharmacies ou directement chez le producteur, comme c'est le cas au Canada ? Qui pourra leur en prescrire ? Et, tout simplement, qui pourra en bénéficier ? Beaucoup de questions doivent encore être tranchées.

Pour le moment, les indications listées par les experts comprennent "les douleurs réfractaires aux thérapies accessibles", "certaines formes d'épilepsies", "des soins de support en oncologie" (cancers), des "situations palliatives" et les contractions musculaires affectant les malades de sclérose en plaques.

En attendant, de nombreux patients souhaitant soulager leurs maux restent dans l'illégalité.  La justice, elle, ne sait pas toujours sur quel pied danser. Parfois des peines de prison sont prononcées. Parfois, des prévenus sont relaxés, comme l'avait été Jean-Jacques Simon, en 2011. Atteint du VIH depuis 20 ans, il subissait sa onzième trithérapie quand il avait été interpellé avec 415 grammes de cannabis. Les juges avaient cependant estimé que ses douleurs ne pouvaient être calmées que par sa consommation.