Pacemaker, prothèses de hanche, implants mammaires ou contraceptifs… Comment savoir si ces dispositifs ne comportent pas de risques pour la santé ? Pas simple, selon des révélations publiées dimanche. Une enquête internationale réalisée par 59 médias dénonce en effet les lacunes du contrôle des implants médicaux en Europe, et notamment en France. Contrairement aux médicaments, ces dispositifs ne sont pas soumis à des tests cliniques avant leur commercialisation. La réglementation européenne impose simplement aux constructeurs de remplir quelques démarches administratives. Et dans 96% des cas, selon cette enquête internationale, les organismes certificateurs ne demandent même pas à voir le produit, qui va pourtant se retrouver sur les tables d’opération des hôpitaux.
La conséquence de ce "laxisme", selon les 250 journalistes qui ont participé à l’enquête, serait une augmentation substantielle des incidents liés aux implants médicaux, et ce partout dans le monde. En France, selon les chiffres de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui tient un répertoire des signalements de matériovigilance, le nombre d'incidents liés à ces implants aurait doublé en dix ans, avec plus de 18.000 cas en 2017 et environ 158.000 incidents en dix ans. Mais ce que révèle aussi l’enquête, c’est la difficulté de retrouver la trace des produits concernés lors des incidents. Et donc la difficulté, pour les patients, de savoir si leurs implants sont potentiellement dangereux.
Un listing de l’ANSM défectueux ?
En théorie, en France, lorsqu’un dispositif médical est jugé dangereux, l’ANSM le note dans une liste, que tout le monde peut consulter ici. Une fois qu’un produit défectueux est inscrit sur cette liste, les médecins ne peuvent plus les implanter à leurs patients. Et les patients opérés avant que le dispositif soit inscrit sur la liste sont alors contactés pour être réopérés. S'il a un doute, le patient peut également obtenir des informations sur la surveillance des produits défectueux en contactant lui même l’ANSM par téléphone (les numéros ici) ou via l’adresse materiovigilance@ansm.sante.fr. Mais il y a plusieurs hics.
Le premier, c’est que les informations collectées par l’ANSM après un incident lié à un implant "comportent de nombreuses erreurs, lacunes, et fausses dates", résume France Info, qui a participé à l’enquête. Et de donner quelques exemples tirés des listings de l’agence de sécurité du médicament :
"28.560 déclarations ne donnent aucune explication sur la nature de l’incident. Les lignes du tableau sont tout simplement vides.
2.282 déclarations d’incidents ne sont pas datées. Il n’est donc pas possible d’identifier le moment où l’incident s’est produit.
Alors que les déclarations sont généralement censées être effectuées 48 heures après un incident, 7.398 signalements ont été effectués un an ou plus après qu’ils ont eu lieu. Dans un cas, la déclaration a même été faite… huit ans après l’incident.
On peut enfin questionner la réactivité des autorités sanitaires, puisque 125.514 de ces incidents n’ont débouché sur aucune décision."
Où regarder pour s’informer des incidents à l’étranger ?
Les auteurs de l’enquête s’interrogent donc sur ce manque de vigilance de l’ANSM (qui a, par ailleurs, mis des mois à fournir les informations) dans la collecte des données. Ils pointent, également, la désorganisation des hôpitaux, chargés de transmettre les informations. "L’éparpillement des informations est un problème. Rien qu’à l’AP-HP, à Paris, il existe 70 logiciels différents, et aucun système centralisé pour tracer les implants. Quand ce ne sont pas les établissements qui fonctionnent toujours au papier", décrit Le Monde, qui a aussi participé à l’enquête.
"Notre base collecte les informations qui remontent des établissements de santé [et des fabricants], l’exercice a donc ses limites. Nos correspondants dans les établissements nous aident, mais on ne peut pas le faire sur tous les signalements", se défend d’ailleurs Jean-Claude Ghislain, directeur pour les affaires scientifiques de l’ANSM, dans Le Monde.
" En Ile-de-France moins d’un établissement sur deux dispose d’un document précis à remettre aux malades "
Pour corriger ce défaut d’information et tenter de savoir si le dispositif qu’on lui a implanté a déjà été lié à un incident par le passé, le patient est donc parfois contraint d’aller voir ce qui s’est passé à l’étranger. Le collectif international de journalistes publie ainsi ce lundi une vaste base de données sur des incidents liés aux implants à l’étranger, et notamment aux Etats-Unis, où le suivi est jugé plus complet. Pour cela, il suffit de se rendre sur ce site ici, et de taper le type d’implant qui vous intéresse dans la base de recherche (exemple : "pacemaker"). Apparaîtra, alors, la liste des incidents liés à ce type d’implants dans le monde, la date ou encore la marque du produit. Le site, est, pour l’heure, disponible uniquement en anglais. Mais Le Monde doit en publier bientôt une version française. Et vous pouvez également écrire au collectif de journalistes, via l’adresse contact@icij.org.
Difficile de savoir ce que l’on nous a implanté
Mais il y a une autre difficulté, et non des moindres. Pour savoir si notre implant a déjà été lié à un incident par le passé, encore faut-il savoir… ce que l’on nous a implanté. Et là encore, les lacunes dans l’information sont nombreuses. En théorie, la marque, le nom, le numéro de série et de lot du dispositif qu’a utilisé le chirurgien doivent figurer sur votre dossier médical. Si ce n’est pas le cas, votre chirurgien doit être en mesure de vous donner ces informations, et ce depuis une loi de 2006.
"Mais la consigne est peu respectée. Une enquête menée en 2014 par la direction générale de l’offre de soins (DGOS) montre, par exemple, qu’en Ile-de-France moins d’un établissement sur deux dispose d’un document précis à remettre aux malades à leur sortie. Un constat inquiétant, car ce papier est le seul moyen pour le patient de savoir s’il est concerné en cas de problème sur un implant", résume Le Monde. Qui poursuit : "Selon la même enquête, un établissement sur dix ne dispose d’aucune base de données informatique permettant de retrouver rapidement un patient à partir du numéro de lot de l’implant, et inversement".
La meilleure personne à même de vous renseigner reste la pharmacie centrale de l’hôpital, qui doit, en théorie, enregistrer tout le matériel acheté par l’hôpital. Mais en théorie seulement : selon l’enquête révélée dimanche, il n’est en effet pas rare que les fabricants livrent directement le matériel au chirurgien, sans passer par la pharmacie, afin de gagner du temps, surtout lorsque l’opération se fait en urgence. Dans ce cas-là, si le chirurgien omet de noter les références du dispositif implanté, personne ne sera en mesure de vous renseigner.