L’exécutif a annoncé qu’il souhaitait doubler le nombre de maisons de santé, pour améliorer l’accès aux soins dans les zones dépourvues de médecins.
"L'accès aux soins est au cœur du pacte social", assure Edouard Philippe. Le Premier ministre, en déplacement à Châlus, en Haute-Vienne, a présenté vendredi le plan de lutte du gouvernement contre les déserts médicaux, en compagnie de la ministre de la Santé Agnès Buzyn. Et parmi les mesures présentées par les deux membres de l’exécutif (avec le développement de la télémédecine et le "décloisonnement" des professions), l’une d’elles est particulièrement attendue des élus locaux : le doublement du nombre de maisons de santé. Mais est-ce vraiment une solution efficace ?
Maisons de santé : où en est-on ?
Il existerait, aujourd’hui, un peu plus de 900 maisons de Santé sur l’ensemble du territoire, selon un rapport sénatorial paru cet été, contre seulement 175 cinq ans plus tôt et… seulement 20 en 2008. Concrètement, une maison de Santé est un regroupement de professionnels de santé (infirmiers, ostéopathe, psys, médecins spécialistes…) autour d’un ou plusieurs médecins généralistes, qui s’engagent à un suivi coordonné des patients et un partage des tâches (actes médicaux comme démarches administratives). Au départ mises en place pour alléger la charge de travail des médecins et assurer un suivi coordonné des patients, les maisons de santé sont apparues aux yeux de nombre d'élus locaux comme un moyen pour tenter d'attirer des praticiens dans des zones sous-peuplées.
Le gouvernement veut doubler leur nombre d’ici la fin du quinquennat, et il se dit prêt à investir 400 millions d’euros pour remplir cet objectif. Cette enveloppe, qui pourra servir à la construction de locaux, à financer des aides à l’installation ou des accompagnements administratifs par exemple, représente environ le double des investissements publics mis en œuvre entre 2010 et 2013 et qui avaient permis de donner un vrai coup d’accélérateur à la mise en place de ces structures.
De la difficulté de trouver des médecins
Le hic ? Le financement n’est pas le seul obstacle au succès de ces "maisons". Plusieurs communes se plaignent en effet de ne pas parvenir à attirer des médecins généralistes dans leur projet de maisons de santé. "Depuis bientôt un an, nous n’avons plus de généraliste. Cette maison a été mise en place dès 2012 à l’initiative de deux médecins. La première est partie au bout d’un an et le deuxième est parti s’installer près de Toulouse fin 2016. Depuis, nous n’arrivons pas à fidéliser de généraliste", déplore ainsi une infirmière de la maison de santé de Hautefort, en Dordogne, citée par La Croix. "A Avanton (près de Poitiers), la maison de santé, inaugurée il y a quatre mois, peine à trouver des médecins généralistes. Ce regroupement de professionnels de santé a été pensé et financé par la commune, à hauteur de 430 000 euros. Une ostéopathe a posé ses valises en avril. Deux infirmiers ont posé leur plaque début août mais les médecins boudent cet écrin tout neuf", peut-on également lire sur le site de France culture.
" Je pense que le doublement des maisons de santé est un objectif tout à fait réalisable. Les maisons de santé attirent "
Selon le Sénat, il faut environ 3 à 5 ans pour ouvrir une maison de santé. Un peu plus de 300 projets sont en attente de concrétisation. Et le manque de médecins (seuls 4% des généralistes français exercent aujourd’hui dans ces structures) représente le principal obstacle à leur création. Pour la Fédération française des maisons et des pôles de santé (FFMPS), toutefois, le tableau n’est pas si noir que ça. "Aujourd’hui, les plus de 900 maisons de santé en France tournent en moyenne avec quatre généralistes et une dizaine de professionnels paramédicaux. Elles ne sont pas vides ! Les 5 ou 10% de structures qui peinent à attirer ne sont que l’exception qui confirme la règle", assure à Europe 1 Brigitte Bouzige, la vice-présidente de de la FFMPS. "Les élus doivent comprendre une chose pour éviter de financer des coquilles vides : ils ne doivent pas se lancer dans un projet avant de s’être mis d’accord avec un médecin", poursuit-elle. Et d’enchaîner : "Je pense que le doublement des maisons de santé est un objectif tout à fait réalisable. Les maisons de santé attirent. Elles offrent aux médecins un partage des tâches, un allègement des contraintes administratives. Elles leur permettent de tourner, d’avoir plus de temps libre".
Le doublement, "un plafond de verre"
La FFMPS reconnaît toutefois : après le doublement des structures, on risque d’attendre un "plafond de verre". Car les maisons de santé, qui emploient principalement des médecins libéraux, ne devraient pas être une solution miracle pour attirer des nouveaux praticiens dans les déserts médicaux. Aujourd’hui, en effet, la tendance est à la recherche de la stabilité. Selon l’Ordre national des médecins, le nombre de libéraux a décru de 10% en dix ans. Celui des salariés ou de "mixtes" (mi libéral, mi salarié), en revanche, augmente d’environ 10%. "La prochaine étape me semble devoir être la mise en place d’une forme de salariat pour attirer les médecins", reconnaît Brigitte Bouzige.
"Les maisons de santé, ce n’est pas la solution idéale", abonde Olivier Le Pennetier, président de l'Intersyndicat national des internes (ISNI), cité par 20 Minutes, prônant le développement de "centres de santé". "La seule différence, c’est que les médecins sont salariés, ils sont soulagés de toutes les démarches administratives, reçoivent un salaire fixe, bénéficient d’avantages sociaux (congé maternité, maladie). Ce qui est assez demandé par les jeunes. De bonnes conditions de travail, c’est un levier plus efficace que l’aide financière".
Mais pour l’heure, le salariat ne fait pas partie du plan du gouvernement, qui semble privilégier la multiplication des aides. Avec le plan présenté vendredi, les médecins libéraux seront ainsi incités à exercer à temps partiel dans des zones sous-dotées grâce à une revalorisation de leurs primes. Et le cumul emploi-retraite des libéraux sera favorisé grâce à une exonération de cotisation élargie dans les zones en tension. Des aides au logement ou pour les transports sont également prévus. Un comité d'évaluation des actions locales, présidé par la ministre, se réunira régulièrement pour identifier et promouvoir les recettes qui marchent.
Membre de la délégation accompagnant Edouard Philippe et Agnès Buzyn, le président du premier syndicat de médecins libéraux (CSMF), Jean-Paul Ortiz, s'est pour sa part réjoui de voir une grande partie de ses propositions exaucées. Mais il a regretté, pour sa part, l'absence d'aides financières pour "les médecins spécialistes", qui "commencent" eux aussi à manquer dans certaines zones.