Le gouvernement présente vendredi son plan de lutte contre les déserts médicaux. L'amélioration de l'accès aux soins est une "priorité", a clamé à plusieurs reprises la ministre de la Santé Agnès Buzyn, qui vient d’enchaîner plusieurs semaines de concertations avec des élus et des professionnels de santé. Environ un dixième de la population française vit aujourd’hui dans une commune privée de généralistes. Et les inégalités territoriales se creusent encore plus en fonction des spécialités. Parmi les pistes (télémédecine, développement des maisons de santé etc.) pour améliorer l’accès au soin, l’exécutif envisage de "décloisonner" certaines missions jusqu’ici réservées aux médecins.
La moitié des actes délégués aux infirmiers ?
La ministre veut ainsi permettre "à des professionnels hospitaliers ou à des professionnels libéraux d'aller donner du temps médical dans des zones désertifiées", comme elle l’expliquait fin septembre à l’Assemblée. En clair, il s’agirait de donner à des non-médecins, principalement des infirmiers, la possibilité de réaliser des actes réservés aujourd’hui aux médecins. Selon le chirurgien Guy Vallancien, membre de l'Académie nationale de médecine et fervent défenseur du "partage de tâches" entre professionnels, la "moitié des actes médicaux pourraient être délégués" à des infirmiers hospitaliers ou libéraux. Le chirurgien cite la vaccination, actuellement expérimentée par les pharmaciens, ou l'"établissement de certificats d'aptitude au sport" par exemple.
" Elles ont montré qu'elles atteignaient de hauts niveaux de soins et de résultats "
La France veut s’inspirer du Royaume-Uni, qui a mis en place en 2006 une fonction "d'infirmières praticiennes avancées" (ANP), dotées d'attributions traditionnellement associées aux médecins et chirurgiens travaillant en milieu hospitalier. Les "ANP" peuvent effectuer des diagnostics, établir des programmes de soins mais aussi intervenir dans des domaines complexes comme la chirurgie. Résultats ? "Elles ont montré qu'elles atteignaient de hauts niveaux de soins et de résultats", assure à l’AFP Danny Mortimer, qui dirige NHS Employers, une organisation regroupant les employeurs du système de santé public britannique. Pour Ian Eardley, vice-président du College royal des chirurgiens, les ANP sont souvent "la colle qui soude les équipes chirurgicales".
Pas si simple à mettre en place
La pratique n’est toutefois pas si simple à mettre en place. Elle nécessite une refonte de la formation des infirmiers : Outre-Manche, les "infirmières praticiennes avancées" (ANP) sont formées à bac+5 minimum (contre Bac+3 en France). Un "chantier difficile" qui se heurte en outre à "la tradition des médecins responsables de tout", reconnaît le chirurgien Guy Vallancien.
Effectivement, les médecins se montrent plutôt réticents à déléguer leurs missions, qui nécessitent souvent un suivi avisé du patient et des connaissances pour l’aborder. "J’ai le plus grand respect pour celles et ceux qui font le métier d’infirmier. Je travaille avec eux au quotidien et leur aide m’est non seulement précieuse, mais indispensable. Cependant, autant je serais incapable, tout au moins maladroit pour accomplir la plupart de leurs tâches, autant mon métier n’est pas le leur et leur métier n’est pas le mien. Je suis dans le diagnostic et le suivi des pathologies quand ils ou elles sont dans le soin", écrivait l’an dernier le docteur Bernard Plédran, dans une tribune pour le syndicat MG France.
" La Fédération nationale des infirmiers ne peut que se réjouir d’un changement de regard à l’égard de la profession infirmière "
Au Royaume-Uni, les autorités ont proposé de résoudre l’équation en mettant en place, en mai dernier, un système de certification qui permet de mettre à l’épreuve les infirmiers sur leurs compétences. Sur les 120 qui ont fait une demande de certification pour devenir ANP, seules 60 ont, pour l’heure, obtenu satisfaction.
Qu'en pensent les infirmiers ?
Chez les principaux concernés, la mesure suscite attente et crainte en même temps. Chez les professionnels libéraux, la possibilité de multiplier des missions (et donc des sources de revenus) et d'obtenir une forme de reconnaissance supplémentaire est plutôt vue d'un bon œil. Et ce "décloisonnement" des pratiques est réclamé par les organisations syndicales depuis longtemps. "La Fédération nationale des infirmiers ne peut que se réjouir d’un changement de regard à l’égard de la profession infirmière, non plus comme subalterne du médecin mais véritable pilier du premier recours aux côtés du médecin généraliste et du pharmacien", réagissait récemment la FNI.
A l'hôpital également, la mesure suscite une certaine forme d'attente. Ce décloisonnement permettrait, en effet, de multiplier les perspectives d'évolution de carrière des infirmiers, qui ne se destinent pas tous au management. Mais cette multiplication des missions doit se faire à une condition, selon les organisations syndicales : qu'elle n'entraîne pas une surcharge déjà excessive du volume (et des horaires) de travail.