Effets secondaires : faut-il interdire aux mineurs le Deroxat, l'antidépresseur numéro un en France ?

© BERTRAND GUAY / AFP
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Le livre "Effets secondaires. Le scandale français", à paraître jeudi, dénonce les absurdités du marché du médicament. 

Connait-on vraiment les effets secondaires de nos médicaments ? La France se donne-t-elle les moyens de contrôler les tests en laboratoires avant leur commercialisation ? Pas vraiment, répondent la pneumologue Irène Frachon, le journaliste Jean-Christophe Brisard et l'avocat Antoine Béguin, dans un ouvrage à paraître jeudi (les présentations ici). Distilbène, Vioxx, Dépakine… de nombreux médicaments sont pointés du doigt. "Effets secondaires. Le scandale français" dénonce ainsi des mises en vente "marquées par l’absence de précaution et/ou le sceau du profit".

Parmi les molécules particulièrement pointées du doigt dans le livre : la paroxétine, commercialisée en France sous la marque Deroxat. Vendu dans l'Hexagone à 10 millions d'exemplaires en 2013 (derniers chiffres disponibles), cet antidépresseur est le plus utilisé des Français. A l'échelle mondiale, "au moins 100 millions de personnes utilisent" cette molécule mise en vente depuis 1992, selon l'ouvrage. Problème ? "Cette réussite a vite tourné au cauchemar", poursuivent les auteurs. Car le Deroxat est (entre-autres) accusé d'entraîner de fortes tendances suicidaires chez les mineurs, tout en étant inefficace pour eux. Il a au total suscité le dépôt de 5.000 plaintes aux Etats-Unis depuis sa commercialisation. "Ce qui nous pose question", poursuit Jean-Christophe Brisard à Europe 1, "c'est qu'il continue à être prescrit et vendu en France, y compris à des mineurs".

>> Comment l'expliquer ? Décryptage.

Qu'est-il reproché au Deroxat ? La paroxétine est commercialisée en France et dans le monde par le laboratoire anglais GSK, depuis 1992. Seulement voilà : depuis sa mise sur le marché, elle ne cesse d'être contestée. Dernière critique en date : celle d'un groupe de chercheurs international, lors d'une étude parue en septembre dernier dans le British Medical Journal (BMJ). L'étude a passé au crible les résultats d'une autre étude, commandés par GSK et publiée en 2001. Or, après ce nouvel examen des données (obtenues "avec difficulté", dixit l'article), les chercheurs arrivent à une conclusion opposée de celle de GSK à l'époque : "la paroxétine n'a pas montré une efficacité pour la dépression sévère des adolescents". Au contraire "une augmentation des risques (de suicides) a été observée", poursuit l'étude publié dans le BMJ.

En réalité, tous les antidépresseurs sont plus ou moins soupçonnés d'accroitre les risques de suicide (en quelque sorte, ils sont soupçonnés d'enlever l'appréhension du passage à l'acte chez les dépressifs). Mais la paroxétine est particulièrement accusé d'augmenter ce risque chez les mineurs… tout en étant parfaitement inefficace pour eux !

Controverses en série chez les Anglo-saxons… Cette étude conforte les accusations de nombreux plaignants aux Etats-Unis, où la paroxétine est commercialisée sous la parque Paxil. Outre-Atlantique, pas moins de 5.000 plaintes ont été déposées contre le laboratoire depuis 1992. Comme le raconte l'ouvrage à paraitre jeudi, 500 l'ont été après des suicides ou des tentatives de suicides des patients. Mais pas uniquement : 600 l'ont été de la part de femmes enceintes après des malformations de leurs enfants. Et 3.200 patients dénonçaient le fait d'être devenus dépendants au médicament.

"Comment les effets secondaires ont-ils pu être dissimulés auprès de la FDA (l'autorité sanitaire américaine). Les autorités américaines ont une réponse : GSK a menti !", peut-on lire dans l'ouvrage à paraître jeudi. A partir de 2004, la FDA impose d'ailleurs un bandeau d'alerte, bien plus visible qu'une notice, indiquant clairement tous les risques sur les boites de médicaments. Quant au Royaume-Uni, des poursuites sont en cours et les autorités sanitaires interdisent le médicament pour les mineurs.

" L'efficacité de la paroxetine n'a pas suffisamment été démontrée "

Mea culpa du laboratoire du laboratoire lui-même. Ces plaintes ont également conduit le laboratoire à verser, en 2012, 3 milliards de dollars à la Justice américaine et près d'1,5 milliard de dollars aux plaignants, dont 390 millions rien que pour les cas de tentatives de suicide. Et cela avait surtout poussé GSK à une sorte de mea culpa. "La paroxétine est déconseillée chez l'enfant et l'adolescent", elle est "associée à un risque accru de comportement suicidaire et d'hostilité", concède désormais le laboratoire, dans son "résumé de caractéristique produit" 5RCP), une sorte de notice à destination des médecins. Le laboratoire va même plus loin, puisqu'il reconnaît lui-même : "l'efficacité de la paroxetine n'a pas suffisamment été démontrée par les essais".

Mais la France ne s'alarme pas. Ce n'est pas la première fois que l'efficacité et la sécurité pour les mineurs d'un antidépresseur sont remises en cause. Mais, souligne le livre d'Irène Frachon, Jean-Christophe Brisard et Antoine Béguin, c'est la première fois qu'elle prend, au niveau mondial, une telle ampleur. Et c'est surtout la première fois qu'un laboratoire lui-même reconnaît que "l'efficacité n'a pas été prouvée" pour les mineurs. Pourtant, accuse l'ouvrage, la France "ne se montre pas aussi prudente" que les Américains, ni même que le laboratoire lui-même.

En France (où il n'existe à ce jour aucune procédure judiciaire connue), l'ANSM, l'autorité du médicament, se contente de "déconseiller" aux médecins la prescription aux mineurs d'antidépresseurs. Et pour les enfants, certains antidépresseurs (et le Deroxat en fait partie) peuvent tout de même être prescrit en seconde intention (après une psychothérapie) "en cas d'absence d'amélioration, car l'antidépresseur peut améliorer les résultats de la psychothérapie en facilitant son déroulement", peut-on lire dans une note de 2006. Quant aux adolescents, "le recours à un médicament antidépresseur (Deroxat compris ndlr) pourra se justifier en première intention dans les épisodes dépressifs 'caractérisés' d’intensité sévère", dit encore cette note.

Quant à la notice destinée aux patients (validée par l'ANSM), celle qui se trouve dans les boites, elle précise bien tous les risques d'effets secondaires. Mais aucun mot n'est précisé sur son inefficacité auprès des moins de 18 ans. Cette notice renvoie la responsabilité au médecin (psychiatre pour les moins de sept ans, généraliste pour les adolescents), qui est libre de le prescrire. "Il est possible que votre médecin décide de prescrire Deroxat à des patients de moins de 18 ans s'il/elle décide que c'est dans l'intérêt du patient", peut-on lire sur la note, citée par les auteurs.

Entendu sur europe1 :
Parfois, le médecin n'a pas d'autres choix

Des mesures restrictives ? "Pas pertinents". "Pourquoi autorise-t-on toujours la prescription en France du Deroxat chez les mineurs alors que son inefficacité et sa dangerosité son avouées par le laboratoire lui-même?", interroge le journaliste Jean-Christophe Brisard. En réalité, le diable semble se cacher dans les détails. Car GSK ne reconnaît pas officiellement l'inefficacité de son médicament pour les mineurs. Il concède simplement que son efficacité "n'a pas suffisamment été démontrée" lors des tests précédemment effectués. Or, faute de mieux, le Deroxat est encore parfois prescrit par les généralistes à des mineurs.

Face à certains patients particulièrement en souffrance, "le médecin n'a pas d'autres choix parfois que de prescrire certains antidépresseurs", explique sur Europe 1 le professeur Stéphane Clerget. "A ses risques et périls", poursuit-il. Car faute de directives précises, toute la responsabilité pèse sur les épaules du médecin.

Cette politique remonte à 2005. Cette année-là, le ministère de la Santé avait réuni un groupe de psychiatres, de pédopsychiatres, de pédiatres, de psychologues, de généralistes et de pharmaciens. Leur conclusion ? "La prescription d'antidépresseurs aux mineurs (Deroxat compris ndlir) reste un acte réfléchi. Il ne parait pas pertinent de proposer des mesures plus restrictives", peut-on lire dans le compte-rendu cité par le livre à paraître jeudi.