La crise est-elle terminée chez Lactalis ? Un peu plus de neuf mois après une contamination à la bactérie salmonelle de son site de Craon, en Mayenne, le groupe est de nouveau autorisé à commercialiser la poudre de lait infantile produite dans cette usine. "Le préfet de la Mayenne, en concertation avec le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, a autorisé ce jour la reprise de la commercialisation des poudres de lait infantile du site de Craon", a annoncé mardi le ministère de l'Agriculture.
Ce "feu vert" des autorités est à effet immédiat, et la poudre de lait concernée devrait bientôt refaire son apparition dans les rayons des pharmacies ou des supermarchés. Selon les informations de France Bleue Mayenne, les produits seront vendus dès les prochains jours à l’étranger, et à partir d’octobre en France. La marque Picot, l’une des deux utilisées pour vendre les produits jusque-là, conservera son nom, et la marque Milumel devrait en changer. Mais le groupe a-t-il levé tous les doutes ? Les associations de famille, elles, restent inquiètes.
Pourquoi le gouvernement autorise-t-il la commercialisation ?
Fin 2017, 36 nourrissons ont contracté la salmonellose après avoir bu du lait infantile des marques Picot et Milumel, produit dans l'usine de Craon. 18 d’entre eux ont même été hospitalisés. Après de nombreuses alertes émises par les patients entre septembre et décembre, le gouvernement avait ordonné le retrait de centaines de lots et l’arrêt de la commercialisation de tout produit issu du site.
L’exécutif assure désormais que l’ensemble des chaînes de production a été nettoyé et vérifié, et que Lactalis a pris les mesures nécessaires. Avant de donner leur accord, les services de l'État ont procédé à des inspections "pour vérifier les locaux, pour vérifier les procédures mises en place, pour vérifier comment travaillent les opérateurs, voir si tous les travaux qui avaient été annoncés par Lactalis ont été mis en place", a indiqué mardi Fany Molin, sous-directrice de la sécurité sanitaire des aliments au ministère de l'Agriculture.
Les agents ont également procédé à des prélèvements d'échantillons dans le lait en poudre et dans l'environnement de production, depuis le redémarrage de l'activité lait infantile le 4 juillet mais aussi dès le redémarrage de la production de poudre pour adultes le 28 mai : "Tous les résultats de ces analyses officielles n'ont jamais mis en évidence de salmonelles", assure Fany Molin. Le groupe a lui aussi procédé à des contrôles, selon un protocole validé par l’Anses, l’agence de sécurité sanitaire. "Le risque est maîtrisé", promet-on au ministère de l’Agriculture.
Les doutes sont-ils définitivement levés ?
Lactalis, qui a engagé plus de 10 millions d'euros pour moderniser le site de Craon et éviter que cela se reproduise, s'est engagé à "continuer de collaborer et de communiquer sur l'ensemble des documents à transmettre à l'administration". Pour éviter une nouvelle crise à l’avenir, le préfet de Mayenne a par ailleurs "imposé une transmission régulière de tous les résultats du plan d'autocontrôle à ses services, ainsi qu'une obligation d'information immédiate de toute détection de salmonelle (produits finis et/ou environnement de production). Des inspections régulières et inopinées de l'entreprise sont également programmées".
Mais ces précautions ne suffisent pas à rassurer les associations de consommateurs, qui ont perdu confiance dans la sincérité du groupe. Et pour cause : Lactalis, qui fait l’objet de nombreuses plaintes, est accusée d’avoir dissimulé par le passé les contrôles effectués sur ses machines. Quant aux contrôles "inopinés" promis par le préfet, les associations s’inquiètent de leur fréquence : alors que l’usine de Craon avait déjà été infectée à la salmonelle en 2005 (Lactalis n'en était alors pas propriétaire), elle n’a été que peu contrôlée entre cette date et 2017 (le dernier datait de 2012).
" On remet en activité une usine sans avoir tiré toutes les leçons de cette affaire "
Quentin Guillemain, le président de l'association des familles de victimes, voit ainsi cette autorisation comme "une trahison". "On découvre ce feu vert sans avoir été informé. On a l'impression que tout est fait le plus vite possible, dans la précipitation, pour étouffer l'affaire. Je trouve ça inacceptable", martèle-t-il. Et d’enchaîner : "On remet en activité une usine sans avoir tiré toutes les leçons de cette affaire. Rien n'a été fait pour s'assurer de la sécurité sanitaire des produits."
"A ce jour, nous n'avons aucune garantie que les mêmes dysfonctionnements ne vont pas se reproduire. L'enquête judiciaire préliminaire est toujours en cours. Et les conclusions de la Commission d'enquête parlementaire n'ont même pas encore été prises en compte", a également dénoncé Karine Jacquemart, directrice de l'ONG qui a porté plainte en février dernier avec plusieurs parents pour exiger la totale transparence dans cette affaire.
Les parlementaires avaient en effet proposé cet été de "toucher au portefeuille" les industriels qui "ne respecteraient pas une forme de déontologie et de rigueur sur les autocontrôles", et de mettre en place "une forme de responsabilité pénale". Le rapport de la commission d’enquête parlementaire proposait également la création d’une "police de la sécurité alimentaire"¸ indépendante, ou encore la mise en place de "codes-barres" conçus pour bloquer le paiement en caisse d’un produit dès qu’il fait l’objet d’une première alerte. Mais ces propositions n’ont, pour l’heure, fait l’objet d’aucune mesure concrète.
Où en est l’enquête ?
Suite à des centaines de plaintes (320, exactement) de victimes et d’associations, le parquet de Paris a ouvert, le 22 décembre 2017, une enquête préliminaire pour "blessures involontaires", "mise en danger de la vie d'autrui" et "tromperie aggravée". Les enquêteurs cherchent encore à savoir si Lactalis avait dissimulé des contrôles positifs à la salmonelle, comme l’a notamment prétendu le directeur général de l'Alimentation lors de son audition devant le Sénat, en février dernier. Ils cherchent également à comprendre pourquoi les produits incriminés ont continué à être vendus en masse après les premiers signalements, et même après les premières demandes de rappels.
Cet été, les parents d'un enfant touché par la bactérie ont aussi déposé plainte pour "dissimulation de preuves", suite au vol de trois ordinateurs et d’une tablette lors d'un cambriolage d’une annexe parisienne de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l'un des services en charge de l'enquête sur du scandale sanitaire qui touche le groupe laitier.