Le dispositif recommandé face à la grippe a-t-il été respecté ? Treize résidents d’une maison de retraite lyonnaise sont morts en quinze jours. Entre le 23 décembre et le 7 janvier, 72 résidents de l'établissement Korian Berthelot, qui accueille 110 personnes âgées "très dépendantes et polypathologiques", ont en effet contracté la grippe. Sur ce total, 13 personnes, d'une moyenne d'âge de 91,5 ans, sont mortes, et six ont été hospitalisées. Un "évènement exceptionnel" (dixit le ministère de la Santé) qui pose la question de l’efficacité du dispositif de prévention de la grippe dans les établissements collectifs.
- Face à la grippe, quel est le dispositif ?
169 foyers d'infections ont été observés cette année dans des collectivités de personnes âgées, un chiffre en augmentation depuis deux semaines, selon Santé Publique France. Pour faire face, les établissements ne sont soumis à aucune obligation, mais à un certain nombre de recommandations. Première d’entre-elles : la vaccination. Pour être vacciné, il ne faut pas déjà présenter de syndromes infectieux et accepter la vaccination (ce qui n'est pas le cas de tous les résidents de maison de retraite). Certes, la vaccination ne résout pas tout. Moins efficace chez les personnes âgées que chez les jeunes, elle reste tout de même fortement recommandée par les autorités sanitaires.
" La vaccination reste la première mesure recommandée, même avec ses imperfections "
"Nous estimons à 35% l'efficacité de la vaccination des sujets âgés pour prévenir les décès : cela fait des milliers de décès évitables. Elle reste donc la première mesure recommandée à tous les sujets âgés, même avec ses imperfections", explique Daniel Levy-Bruhl, responsable de l'unité infections respiratoires et vaccination à Santé Publique France.
Au-delà de la vaccination, les établissements collectifs sont fortement invités à mettre en place un certain nombre de mesures, fixées par une circulaire en date de 2012. Renforcer l’hygiène au sein de l’établissement (lavage des mains systématique, port de gants, de surblouse, gestion du matériel et des surfaces souillées etc.), généraliser les "mesures barrière" (la distribution de masques, par exemple), réduire les contacts avec les personnes malades, limiter les déplacements dans l'établissement… les recommandations des autorités sanitaires ont été réunies dans un rapport à destination des professionnels, que tout le monde peut consulter ici.
Au-delà de cinq cas de grippe dans un délai de quatre jours, l’établissement est tenu d’en informer l’Agence régionale de santé, qui peut ensuite effectuer des contrôles. Si les établissements ne sont pas contraints par la loi de mettre en œuvre les recommandations, l’Etat peut tout de même envoyer des inspecteurs sur place et prononcer des sanctions en cas de manquements (renouvellement des équipes dirigeantes dans le public ou fin des subventions dans le privé, par exemple).
- Quel est le bilan général de ce dispositif ?
Difficile de faire le bilan de ce dispositif, car le virus de la grippe est rarement le même d’une année sur l’autre. En clair, le nombre de cas et de décès dépend de la nature du virus. Cette saison s'annonce délicate avec le retour d'un virus de type H3N2, cousin de celui qui avait contribué, il y a deux ans, à une surmortalité de 18.000 personnes. L'an dernier, le virus de type B n'avait pas généré d'excès de mortalité et le dispositif semble avoir bien marché. Depuis deux mois, en revanche, "le nombre de cas n'est pas exceptionnel, mais la proportion de malades hospitalisés est plus grande" indique Santé Publique France.
- Dans l'établissement Korian Berthelot, le dispositif a-t-il été respecté ?
Le médecin coordonnateur chez Korian, Emilie Arabian, a indiqué que 46% des résidents ont été vaccinés. La vaccination a ensuite été interrompue quand l'épidémie est survenue dans l'établissement. Le ministère de la Santé a pour sa part indiqué que le taux de vaccination au sein de l'établissement atteignait 38%, contre une moyenne nationale de 80%. Mais pour le Dr Arabian, ce niveau n'est en général atteint qu'à la fin de la période vaccinale, qui s'étend d'octobre à fin janvier. L'épidémie "s'est développée de façon précoce dans l'Ehpad Berthelot à partir du 21 décembre, elle a décru au moment de Noël puis une nouvelle flambée nous a poussés le 27 décembre à instaurer une mesure d'isolement", explique-t-elle. Sur les 72 résidents atteints, plusieurs étaient d'ailleurs vaccinés. Six des patients décédés avaient reçu l'injection.
Toutes les personnes grippées ont, en outre, été confinées dans leurs chambres. "Aucun regroupement de résidents n'a été autorisé, y compris pour les repas pris dans les chambres", a précisé le Dr Arabian. Les visites des familles, "prévenues par téléphone dès le début de l'épidémie et régulièrement informées", ont également été restreintes. Le personnel observe par ailleurs le protocole de port de masque et de lavage des mains avec une solution hydroalcoolique.
" Une prise en charge souvent défaillante "
A la demande de Marisol Touraine, l'Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes a lancé vendredi "une mission d'inspection afin de contrôler la mise en œuvre (...) des recommandations des autorités sanitaires de lutte contre la grippe". Dépêché sur place, le Directeur général de la santé "a constaté que, à cette date, les mesures de prévention étaient bien mises en place", a assuré le ministère. L'inspection, dont un rapport d'étape est attendu "sous dix jours", devra permettre "d'identifier et analyser les causes à l'origine de cet évènement exceptionnel".
Pour l’établissement, l'explication tient à une multitude de facteurs : une région très affectée, des victimes déjà malades et très âgées - 91 ans et demi en moyenne, 102 ans pour la doyenne. Et aussi la difficulté à faire appliquer des mesures de confinement à des patients atteints par exemple de maladie d'Alzheimer.
Mais la fille d'une résidente de 84 ans, vaccinée contre la grippe mais souffrante, interrogée par le quotidien régional Le Progrès, a déploré pour sa part une "prise en charge souvent défaillante" et "des dysfonctionnements" dans l'établissement. Ainsi, raconte-t-elle, lors d'une animation musicale prévue pour les résidents et leurs familles le 25 décembre, la direction avait imposé le port de masques aux visiteurs mais ces protections auraient été en nombre insuffisants.
Le rapport de l’inspection, qui doit être rédigé par l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) devrait permettre de dire si le dispositif en lui-même a montré ses failles, s’il n’a pas suffisamment été appliqué par l’établissement ou si la situation de cet établissement revêtait bien un caractère "exceptionnel".