Des enfants nés sans main ou sans bras à intervalles réguliers, et dans un espace géographique restreint. Depuis 2011, 14 signalements de ce type ont été transmis à l’Agence santé publique France, l’organisme de veille et de surveillance épidémiologique rattaché au ministère de la Santé, qui publie un rapport ce jeudi à leur sujet. Ces 14 enfants, nés avec une malformation d’un ou plusieurs membres supérieurs appelée agénésie, sont nés entre 2009 et 2014 au sein de trois zones resserrées, dans l’Ain, le Morbihan et en Loire-Atlantique.
Dans son rapport, l’agence Santé publique France reconnait "un excès de cas" dans au moins deux de ces zones, en Bretagne et près de Nantes. Mais cet "excès" reste encore largement inexpliqué et l'impatience se fait ressentir chez les familles, qui s'inquiètent d'un potentiel lien avec l'environnement, voire l'activité agricole. Et le cas de la troisième zone, dans l’Ain, continue de faire débat.
Quelle est l’origine de ces signalements ?
Les premiers cas identifiés remontent à 2009, dans un périmètre de 17 kilomètres autour du village de Druillat, dans l’Ain. Sept cas d’agénésie y sont repérés entre 2009 et 2014 par le Registre des malformations en Rhône-Alpes (Remera), un organisme d’alerte sanitaire local. Selon ce dernier, cette fréquence est 58 fois plus élevée que la normale. "Est-ce une fluctuation aléatoire ? On ne peut pas l’éliminer mais la probabilité est infime", commente dans Libération Emmanuelle Amar, épidémiologiste et directrice du Remera.
En 2014 puis en 2015, d’autres cas sont signalés aux autorités sanitaires, par des parents ou des médecins locaux. Il s’agit d’abord de trois enfants nés entre 2007 et 2008 autour de Mouzeil, à une quarantaine de kilomètres de Nantes, puis de quatre cas situés à Guidel, près de Lorient. "Une situation exceptionnelle sachant que la commune de Guidel ne compte qu’une centaine de naissances par an, et qu’une telle malformation n’arrive que dans deux naissances sur 10 000", précise Ouest France.
Comment ont réagi les autorités sanitaires ?
Selon France Info, une première réunion entre Santé publique France et les principaux "lanceurs d’alerte" est organisée en 2016, mais elle ne donne rien, l’organisme de veille sanitaire y voyant à l’époque "le fruit du hasard". Mais sous la pression notamment du Remera qui, en manque de financement, risque bientôt de fermer ses portes, Santé publique France décide de poursuivre ses investigations.
" Faut-il mettre en cause l’environnement ? Les pesticides ? Pour l’instant, on ne peut rien affirmer "
Son verdict ? Pour l'Ain, "l'analyse statistique ne met pas en évidence un excès de cas par rapport à la moyenne nationale", a indiqué l'agence sanitaire dans un rapport publié jeudi. "Pour la Loire Atlantique et la Bretagne, l'investigation a conclu à un excès de cas", a-t-elle poursuivi. Une conclusion que conteste le Remera pour qui, même dans l’Ain, "la probabilité que [ces agénésies] soient liées au hasard est plus qu'infinitésimale".
Que sait-on de ces agénésies et de leurs causes ?
Santé publique France et les principaux lanceurs d’alerte (le Remera mais aussi différents pédiatres bretons et des Pays de la Loire) sont au moins d’accord sur un point : aucune cause commune n’a été identifiée à tous ces cas. La science, d’ailleurs, connaît assez mal les causes potentielles de l’agénésie. Ce type de malformation, qui concerne environ 360 enfants en France, est, dans de très rares cas, d’origine génétique ou fait suite à une anomalie chromosomique. Elle peut être due à une infection, ou à une consommation de drogue, de médicaments, voire d’un excès d’alcool, durant la grossesse. Mais aucun des 14 cas signalés ne correspond à ces critères.
Seule certitude : toutes les familles concernées habitaient en zone rurale. D'où l'inquiétude des familles et des "lanceurs d'alerte", qui s'inquiètent d'un potentiel lien avec l'environnement ou l'activité agricole. "On habite en milieu rural, c'est vrai que l'on traverse les champs. S'il y a des facteurs dangereux pour les femmes enceintes, il faut que cela se sache, et s’il y a des produits dangereux, ils doivent être interdits", demande au micro d'Europe 1 Tiphaine, habitante de la commune de Guidel, dont la petite Charlotte est née sans main gauche en 2012.
Pour l'heure, les autorités sanitaires en appellent à ne pas tirer de de conclusions trop hâtives. "Ça interpelle", résume dans Ouest France un pédiatre lorientais, qui connaît personnellement deux des enfants de Guidel nés avec ces malformations. Et de poursuivre : "Il faut être très prudents. Faut-il mettre en cause l’environnement ? Les pesticides ? Les perturbateurs endocriniens ? Pour l’instant, on ne peut rien affirmer. Mais encore une fois, ça pose question".
Que va-t-il se passer maintenant ?
"L'agence maintient avec le Réseau français des registres une attention toute particulière à la survenue de nouveaux cas dans ces régions et dans le reste de la France", a simplement conclu Santé publique France jeudi. Poursuivant : "la surveillance des malformations congénitales et les investigations sont particulièrement complexes notamment en raison de la rareté des événements". En clair, l’enquête sur ces cas précis s’arrête là, mais les autorités sanitaires promettent de maintenir une vigilance accrue.
Or, une donnée nouvelle pourrait prochainement entrer en ligne de compte. Selon France Info, dans l’Ain, il y a également eu "des cas de malformations recensés sur des animaux, sur des veaux plus précisément et dans la même zone". Santé publique France reconnaît que si ces cas étaient confirmés, cela donnerait des éléments suffisamment probants pour lancer de nouvelles investigations, et tenter de percer le mystère de l’origine de ces malformations.