>> Tous les jours dans Historiquement vôtre, David Castello-Lopes revient sur les origines d'un objet ou d'un concept. Ce jeudi, il se penche sur le bouche-à-bouche, cette technique d’assistance respiratoire prodiguée lors des premiers secours et enseignée dans le monde entier. Elle a été mentionnée pour la première fois en 1740, à Paris.
Quand l’ensemble de la classe gloussait à cause du bouche-à-bouche
J’ai passé toute mon enfance à me dire que j’aimerais vraiment énormément embrasser une fille. Le problème à cette époque, c’est que je ne m’étais pas encore incarné dans cette forme définitive que vous avez sous les yeux. Quand j’étais enfant, on m’appelait David Castello-L’Obèse… donc pas de bisou pour moi. Et quand les jours sans bisous se transforment en mois puis en années, on laisse aller sa pensée aux circonstances exceptionnelles qui pourraient nous donner la possibilité d’en faire.
Et puis un jour à l’école, on nous a expliqué le bouche-à-bouche. Je me suis rendu compte que je n’étais pas seul dans mes pensées coupables parce que l’ensemble de la classe a gloussé, filles comme garçons. Mais quand je préparais cette chronique, je me suis dit que ce gloussement était quand même complètement insensé.
Parce que quand on doit faire du bouche-à-bouche à quelqu’un, c’est que cette personne est en train de mourir. A moins d’être un psychopathe de l’enfer, ce n’est vraiment pas une situation où on se dit ah super, ça va être un peu comme faire des bisous.
Des sociétés savantes mentionnent la technique vers 1740
Bon alors depuis j’ai embrassé quelqu’un pour la première fois. C’était pendant le confinement, donc je ne fais pas non plus le malin. Mais je n’ai jamais fait de bouche-à-bouche, ce qui ne m’a pas empêché de m’intéresser à ses origines. Alors pendant longtemps, il y avait quand même une petite tendance des gens à ne pas vouloir ressusciter les morts. Pourquoi ? Parce que vouloir ressusciter les gens, c’était un peu faire genre on était Dieu vous voyez. Et Dieu, vous le connaissez, il n’aime pas trop qu’on empiète sur sa fiche de poste.
Mais bien sûr tout a changé avec les Lumières. Un peu partout en Europe au milieu du 18ème siècle, des sociétés savantes se constituent et commencent à réfléchir, notamment à comment faire pour que les gens qui ont l’air morts redeviennent vivants. Et parmi les choses recommandées par ces sociétés, pour la première fois il y a le fait de souffler dans la bouche des gens. La première mention de la technique date de 1740 à Paris.
En plus du bouche-à-bouche, on recommandait de mettre de la fumée de tabac… dans l’anus
Alors c’est une très bonne intuition de souffler dans la bouche des gens, mais malheureusement comme souvent à l’époque dans la médecine, les bonnes intuitions cohabitent avec de très mauvaises intuitions. L’une d’entre elles était que, en plus de faire le bouche-à-bouche aux gens, certains recommandaient aussi de mettre de la fumée de tabac dans leur anus…
Et il y a des récits du 18ème siècle que j’ai lu pour faire cette chronique et qui disent en gros : 'vite vite vite, il a l’air mort, il faut lui mettre de la fumée dans le cul'. On savait déjà que le tabac était un excitant, et on se disait qu’il fallait exciter le corps de cette personne inerte pour la réanimer.
Le massage à cœur ouvert, autre technique utilisée à l’époque
Mais autant vous dire que ça ne marchait pas. Petit à petit on a testé d’autres choses, comme le massage cardiaque à cœur ouvert. Ça se faisait à deux : on ouvrait la poitrine des gens, et à ce moment-là il y avait quelqu’un qui écartait les côtes et l’autre qui tripotait le cœur comme dans Indiana Jones.
Ça ne marchait pas si mal, mais on a pris pas mal de temps à comprendre que ça marchait aussi bien sans ouvrir la poitrine au scalpel… Même si c’est bien sûr beaucoup moins fun.
Le bouche-à-bouche actuel a été sanctuarisé dans les années 1950
Tout ça jusqu’à ce qu’arrivent dans les années 1950 les médecins américains Peter Safar et James Elam (Safar, c’est encore un Autrichien qui a émigré aux États-Unis donc je vous épargne son histoire). Mais tous les deux ont démontré que la méthode de résurrection la plus efficace, c’était celle qu’on connait tous aujourd’hui : c’est-à-dire d’alterner le bouche-à-bouche avec des pressions sur la poitrine.
Il n’y a pas beaucoup de chiffres sur cette méthode mais d’après les statistiques américaines, en gros ça marche une fois sur deux. Ce qui est quand même beaucoup mieux que zéro fois sur deux. Dernière petite chose, si vous vous demandez à quelle vitesse il faut appuyer sur la poitrine des gens, c’est minimum 100 fois par minute. Et pour s’en rappeler il suffit de chanter dans sa tête la chanson Stayin' Alive des Bee Gees et d’appuyer sur chaque temps.