La course au vaccin contre le coronavirus vient de connaître deux avancées considérables : Pfizer et BioNTech ont annoncé la semaine dernière que leur candidat apportait une preuve d'efficacité de 90%. Lundi midi, le laboratoire Moderna a affirmé que son vaccin était quant à lui efficace à 94,5%. Faut-il vraiment être optimiste pour le premier semestre 2021 ? Comment se déploieront ces vaccins en France ? Marie-Paule Kieny, virologue et présidente du Comité Vaccin Covid-19, apporte lundi sur Europe 1 de précieuses réponses sur l'enjeu sanitaire majeur de ces prochains mois.
Quel calendrier mondial pour les premiers vaccins ?
Peut-on espérer un vaccin au premier trimestre 2021, alors que Moderna prévoit de demander une autorisation de mise sur le marché "dans les prochaines semaines" aux États-Unis ? "D'un point de vue formel, ce qui va donner ce top départ va être l'autorisation par les autorités réglementaires de santé, par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis et l'Agence du médicament européenne (EMA) en Europe", indique Marie-Paule Kieny au micro de Patrick Cohen.
"Quand cette décision est-elle attendue ? Il ne faut pas considérer que la décision est déjà prise", poursuit la vaccinologue. "Elle est probable au vu des résultats qui ont été annoncés mais tant qu'elle n'est pas annoncée, elle n'existe pas." BioNTech et Pfizer ont annoncé "qu'ils avaient encore besoin de deux ou trois semaines pour collecter les informations de sécurité que voulait voir la FDA américaine avant de prendre une décision." Ces informations pourraient donc être disponibles "à la fin du mois de novembre".
Quand les premiers Français seront-ils vaccinés ?
Dans les premiers mois de 2021, il devrait y avoir plusieurs vaccins disponibles sur le marché. "On s'attend à avoir plus d'un vaccin et c'est une bonne nouvelle. D'abord, un seul producteur n'arriverait pas à produire suffisamment de vaccins pour vacciner tous ceux qu'on voudrait immuniser. Ensuite, ces vaccins pourraient avoir des caractéristiques différentes. On pourrait avoir des vaccins qui sont très efficaces chez les jeunes et qui le sont moins chez les personnes vulnérables et âgées qu'on voudrait protéger. Certains seraient plus efficaces que d'autres à bloquer la transmission à partir des personnes qui seraient infectées malgré la vaccination."
Pour Marie-Paule Kieny, les premiers Français vaccinés pourraient l'être "vraisemblablement en tout début d'année" 2021. "Très vraisemblablement, comme dans les autres pays, les premières priorités pour cette vaccination seraient, d'une part, les travailleurs de première ligne qui travaillent dans le système de santé (…) et les personnes les plus vulnérables, les personnes âgées, les personnes avec des maladies non transmissibles sous-jacentes."
Combien de vaccins seront disponibles ?
Le journal Les Échos avance lundi matin que 90 millions de doses ont déjà été sécurisées par le gouvernement auprès de sept fournisseurs, ce qui permettrait théoriquement de vacciner près de 45 millions de personnes. "Il faut bien savoir qu'on n'est pas sûr que toutes ces doses aboutissent, puisqu'on a encore des incertitudes sur l'efficacité de ces vaccins", tempère la virologue. De nombreuses zones d'ombre subsistent encore. "C'est pour cela que la France, comme d'autres pays, a choisi d'acheter un portefeuille de produits de façon à ce que, en fin de compte, on utilise ceux qui sont les meilleurs. Pour le moment, on ne sait pas encore combien de doses on aura."
Quels dispositifs pour cette vaccination made in France ?
La présidente du Comité Vaccin-19 apporte des précisions sur la manière dont devraient se dérouler ces campagnes de vaccination dans les prochains mois. "Les stratégies développées actuellement sont des stratégies qui utiliseront les moyens conventionnels qu'on a pour vacciner en France", avance-t-elle, persuadée qu'on ne reverra pas l'armée et les tentes de vaccination comme on a pu voir pour la vaccination contre la grippe H1N1. "Nos concitoyens avaient été très peu convaincus par ces systèmes et préfèrent être vaccinés par leur médecin généraliste, par ceux qu'ils voient d'habitude et c'est donc vraisemblablement ce qu'on utilisera pour les campagnes de vaccination."
Comment lutter contre la défiance ?
Selon un sondage paru la semaine dernière, seulement 54% des Français se sont déclarés "totalement d'accord" ou "plutôt d'accord" à l'idée de se faire vacciner contre le coronavirus. "Comme on le sait, les Français sont les champions du monde du vaccino-scepticisme", déplore la spécialiste. Comment répondre à cette défiance ? "Il faudra être transparent avec les Français et leur dire ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas."
Marie-Paule Kieny cite en exemple les risques de cette vaccination : "Les vaccins qu'on voit et qui progressent, d'après ce qu'on a pu voir dans les premiers essais cliniques chez l'homme, sont ce qu'on appelle assez réactogènes. Ça veut dire que, comme d'autres vaccins, ils induisent une douleur au point d'injection, un gonflement, des maux de tête, parfois des nausées. Ces effets secondaires sont en général de courte durée, de 24 à 48 heures maximum. On ne sait pas encore s'ils pourraient induire chez une proportion très petite des personnes vaccinées des effets secondaires plus graves."
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Faut-il craindre un vaccin très cher ?
Moderna et Pfizer ont produit des vaccins de nouvelle génération, selon la technique de l'ARN messager, ce qui en font des produits très chers avec des prix qui pourraient atteindre plusieurs dizaines d'euros la dose. "Les prix sont variables selon les pays où le vaccin a été vendu", précise la présidente du Comité Vaccin Covid-19. "Le fait que ce soit une nouvelle technologie ne devrait pas justifier un prix plus élevé. Les prix vont être fixés sur plusieurs critères. Certains des industriels, comme AstraZeneca, ont annoncé qu'ils voulaient faire du prix coûtant ou pas loin du prix coûtant pendant la pandémie et qu'ils se réservaient la possibilité, après la pandémie, d'avoir un prix de marché. D'autres producteurs, comme Moderna et BioNTech, ont annoncé qu'ils voulaient un prix de marché dès le début. Un prix de marché se négocie et les prix finaux ne sont pour le moment pas publics."
Le retour à la normale, c'est pour quand ?
C'est, au fond, la question principale liée à cette vaccination de grande envergure : quand pourra-t-on reprendre une vie normale ou presque ? Le professeur Ugur Sahin, le fondateur de BioNTech, a estimé que cela aurait sans doute lieu dans un an, pour l'hiver 2021-2022, une fois passées les campagnes de vaccination. "C'est difficile de faire des prédictions avec le Sars-CoV-2 et le Covid, tout est tellement neuf. On voit parfois des affirmations à l'emporte-pièce déboucher sur des résultats qui les contredisaient. Je pense qu'il faut rester humble vis-à-vis de ce qu'on ne connait pas", nuance d'abord Marie-Paule Kieny.
"Étant positif, on peut penser que si les vaccins sont aussi efficaces qu'on a l'impression qu'ils pourraient l'être et si les Français acceptent la vaccination, on pourrait arriver à une situation où les personnes vulnérables seront protégées pour la fin de l'année", avance-t-elle. "On pourrait donc revenir à une vie plus normale sans pour autant croire que l'on pourra éradiquer le virus. Sûrement pas ! Il faudra donc 'vivre avec'. Mais on pourrait vivre avec dans des conditions meilleures."