L’offre actuelle de vaccins ne permet pas de respecter la loi. Et le Conseil d’Etat donne six mois pour que cela change. Aujourd’hui, en France, la loi n’impose que trois vaccins de manière obligatoire : celui contre la diphtérie, celui contre le tétanos et celui contre la poliomyélite (DTP). Or, ces derniers ne sont pas disponibles dans l’Hexagone de manière isolée, mais seulement en associations avec d’autres vaccins, comme celui contre la coqueluche ou l’hépatite B par exemple. Dans une décision prononcée mercredi, la plus haute juridiction administrative "enjoint au ministre chargé de la Santé de prendre des mesures" pour faire évoluer la situation. Explications en trois points.
Que dit le Conseil d’État précisément ?
Le Conseil d'Etat a posé un principe de base clair : les trois vaccins obligatoires en France doivent être disponibles sans association avec d'autres vaccins. La plus haute juridiction administrative "enjoint au ministre chargé de la Santé de prendre des mesures pour rendre disponibles" les vaccins DTP sous cette seule forme. "La loi, qui n'impose que trois obligations de vaccination, implique nécessairement qu'il soit possible de s'y conformer en usant de vaccins qui ne contiennent que ces trois vaccinations", a détaillé le Conseil d'Etat.
Formulée comme telle, la décision "donne satisfaction" aux 2.300 plaignants qui avaient saisi la juridiction, a commenté Me Jacqueline Bergel, leur avocate. Le Conseil d'Etat a en revanche rejeté leur argumentation selon laquelle les vaccins qui étaient associés aux trois obligatoires comportaient des "risques". "Aucun élément sérieux n'est apporté sur l'existence d'un risque d'atteinte à l'intégrité de la personne et de mise en danger d'autrui", précisent les membres de la juridiction (voir encadré).
Produire ces vaccins DTP isolément, c’est possible ?
Pour l’heure, en France, "seuls les vaccins hexavalents (qui comportent les trois vaccins obligatoires mais aussi celui contre la coqueluche, celui contre la bactérie haemophilius influenza et celui contre l’hépatite B) sont aujourd'hui disponibles", avait reconnu le rapporteur public du Conseil d'Etat lui-même, le 16 janvier dernier. En effet, Sanofi Pasteur, le principal fabricant des vaccins concernés, ne produit plus aucun vaccin isolé contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP) depuis 2008. Les laboratoires proposent certes des kits spéciaux ne contenant que les vaccins obligatoires. Mais ils ne sont proposés qu’aux patients qui présentent des contre-indications contre les autres vaccins, sur avis du médecin généraliste. Pour se procurer ces vaccins, il faut que votre médecin traitant écrive directement au laboratoire. Et celui-ci peut mettre à disposition un kit qui n’était pas, à l’origine, destiné au marché français.
Contacté par Europe 1, Sanofi assure que le délai imposé par le Conseil d’Etat (six mois) est intenable : remettre massivement sur le marché un ancien produit demanderait minimum 18 mois. Et en concevoir un nouveau demanderait minimum 10 ans.
De quelle marge de manœuvre dispose le gouvernement ?
Le gouvernement a désormais trois possibilités. La loi l’autorise à demander à "l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) d’acquérir, de fabriquer ou d’importer les vaccins en cause". En clair, il existe une dérogation à la loi du commerce permettant au gouvernement de forcer la main aux laboratoires. Mais comme on l’a vu plus haut, cela demanderait des mois, voire des années, et la ministre de la Santé Marisol Touraine s’est toujours refusée à le faire.
Deuxième possibilité pour le gouvernement : faire voter une loi pour rendre obligatoire… le vaccin contre la coqueluche, l’haemophilius influenza et l’hépatite B. L’argument du Conseil d’Etat, en effet, est de dire que la situation actuelle ne permet pas de se conformer à la loi. Si la loi change, les vaccins actuellement commercialisés suffiront. Le hic ? Cela serait contraire à la volonté des 5.300 plaignants qui ont saisi le Conseil d’Etat, ainsi qu’à celle du million de signataires de la pétition qu’ils avaient fait circuler. À trois mois de l’élection présidentielle, une telle option a donc peu de chance de se réaliser dans les délais fixés par le Conseil d’Etat.
Mais il existe encore une ultime possibilité : ne rien changer, ou presque. Le gouvernement peut en effet simplement demander aux autorités de santé d’inciter les médecins généralistes à davantage commander les kits spéciaux évoqués plus haut, ne comprenant que les vaccins obligatoires. En clair, les vaccins hexavalents (qui comportent les trois vaccins obligatoires + les trois autres) continueraient d’être proposés. Mais ceux qui le veulent pourraient avoir accès aux kits spéciaux, sans forcément présenter de contre-indication. Selon Sanofi Pasteur, 90% des patients sont satisfaits des "hexavalents". Le laboratoire se dit donc prêt à fournir des kits aux 10% restants.
Pourquoi le mélange de six vaccins pose-t-il problème ?
Les vaccins contre la coqueluche et l’hépatite B posaient principalement problème aux plaignants qui ont saisi le Conseil d’Etat. Le premier peut avoir de nombreux effets indésirables (fièvres, convulsions, allergies etc.) et son efficacité - aujourd’hui estimée à 95% - est soupçonnée de décroître avec le temps. Le second est également jugé efficace à 90% pour ceux qui ne sont pas déjà porteurs de la maladie, mais cette efficacité chute pour de nombreux type de patients : personnes âgées, alcooliques, atteints de défaillance rénale chronique etc. En outre, dans les années 2000, il a fortement été soupçonné d’être responsable de la sclérose en plaque. Si cette théorie est aujourd’hui battue en brèche par toutes les études scientifiques, ces soupçons ont marqué les esprits. "Le vaccin qui a probablement laissé le plus de traces dans la tête des gens, c'est le vaccin contre l'hépatite B", pouvait-on lire en septembre dans un rapport de la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Les deux vaccins – coqueluche et hépatite b – restent tout de même "recommandés" en France dans le calendrier vaccinal.