Environ 60.000 candidats pour 8.000 places. En 2018, le numerus clausus présente un très faible taux d'admission pour les élèves de première année de médecine désireux de poursuivre leur cursus. Un véritable couperet que le député LREM Olivier Véran veut, avec d'autres parlementaires, supprimer. Pour le parlementaire, cet outil est "basé sur des critères de mémoire et de bachotage" et "brise des vocations", comme il l'a affirmé vendredi matin au micro Europe 1 de Wendy Bouchard.
Le numerus clausus aurait également entraîné la pénurie actuelle de médecins libéraux en France. Mais ce n'est pas le seul responsable, selon les deux autres invités du Tour de la question, Jacques Battistoni, médecin généraliste à Caen et président du premier syndicat des médecins généralistes de France, ainsi que Clara Bonnavion, présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine, en troisième année d'étude à la faculté de médecine de Saint-Etienne.
Le numerus clausus, un outil "piloté à l'envers"
Le manque actuel de généralistes, au nombre d'environ 200.000, serait en premier lieu causé par un mauvais pilotage du numerus clausus. "Il a un train, voire un paquebot de retard", tranche Jacques Battistoni, pour qui "on a anticipé à l'envers : on a ouvert les vannes quand il fallait les fermer, et inversement. Demain, on va avoir des médecins qui partent massivement en retraite et beaucoup moins de médecins pour les remplacer."
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D'où ce constat un peu sombre : "On a dix années à venir qui vont être difficiles, quoi qu'on fasse, avec un nombre de médecins qui ne va pas trop varier." Souhaitée par 79% des 2.100 votants sur la page Facebook d'Europe 1, la suppression du numerus clausus ne serait pas pour autant une solution miracle pour combler les déserts médicaux. D'abord parce qu'"on n'a pas du tout les capacités de formation à l'heure actuelle" pour une hausse nette du nombre d'étudiants, déplore Clara Bonnavion, 21 ans. Ce qui poserait la question de compétences moins bien garanties à la sortie de la formation.
La médecine libérale boudée par les étudiants ?
Surtout, c'est selon l'étudiante un problème d'enseignement. "L'exercice libéral n'est pas valorisé dans notre formation, avec presque uniquement des stages en hôpitaux. Sur sept ans, on n'a que trois mois en médecine libérale." Ce qui ne donnerait pas véritablement envie aux étudiants de privilégier cette carrière par la suite. "Aujourd'hui, le modèle pour les étudiants en médecine, c'est le patron dans un CHU", croit savoir Jacques Battistoni.
"On ne nous donne pas l'envie d'y aller et on ne laisse pas découvrir ces territoires. Il faut qu'il y ait un effort sur le projet professionnel dans les études de médecine. Aujourd'hui, les étudiants se disent, une fois arrivés en sixième année, qu'ils verront en fonction de leur classement, sans savoir précisément ce qu'ils veulent faire. On n'est pas du tout concentrés sur le projet professionnel car on nous impose un rythme de travail incroyable. C'est inadmissible." Avec la suppression du numerus clausus, "les jeunes médecins s’installeront plutôt dans les villes et en hôpitaux car ils ont été formés principalement en hôpital. Ils n’ont pas été formés à gérer une TPE dans une petite ville", réagit Josette, auditrice d'Europe 1 sur Facebook.
Le "manque de motivation" des jeunes médecins en question
Vincent n'est pas exactement d'accord avec ce constat d'une formation seule responsable du désintérêt des jeunes médecins pour les territoires ruraux. Médecin de 68 ans à Libourne, il "cherche un successeur" depuis trois ans pour ses 1.700 patients, en vain. "Je suis sidéré du manque de motivation des jeunes confrères", peste-t-il, alors même que les patientèles "se donnent et ne se vendent plus". "Ils veulent tous arrêter à 17 heures, avec seulement des rendez-vous. Parfois, on dit aux gens qui ont une gastro-entérite le lundi qu'ils seront reçus le vendredi", à cause du manque de consultations libres.
"Peut-on leur reprocher d'avoir des conditions de travail qui soient acceptables et qui soient compatibles avec leur vie personnelle ? Non, on n'a pas envie de finir tous les soirs à 22 heures car on a envie d'aller boire un verre ou voir ses enfants", rétorque Clara Bonnavion. "Cela n'empêche pas d'avoir la passion du métier." "L'aspiration à rencontrer ses amis et à aller chercher ses enfants à l'école est légitime", renchérit Jacques Battistoni. "Et si on n'y répond pas, les gens continueront à préférer un exercice hospitalier qui autorise des horaires normaux."
L'attrait de la médecine hospitalière…
Privilégier la médecine hospitalière est une tendance avérée chez les praticiens. Aujourd'hui, les jeunes médecins ne choisissent pas l'exercice en étant installé car il ne leur paraît pas assez attractif", juge Jacques Battistoni. "À l'hôpital, ils travaillent en équipe avec d'autres professionnels. En libéral, c'est travailler le plus souvent seul, sans bénéficier du support fondamental d'avoir une secrétaire ou une infirmière à côté de soi." En milieu rural, les jeunes médecins seraient plus portés vers les maisons pluri-disciplinaires que la reprise d'un cabinet.
… face à une médecine libérale contraignante
Un choix qui s'explique aussi par des critères financiers, selon Jean-Pierre, médecin retraité : "Le manque d'attrait pour l'installation en médecine libérale ou de ville vient du fait que ces métiers ne sont plus attractifs comparés à certaines fonctions médicales dans des caisses de sécu ou ailleurs. Dans les métiers salariés, les praticiens gagnent presque autant en étant dix fois moins ennuyés, sans charges ni problèmes administratifs." Ce qui l'invite à reléguer au second plan la question du numerus clausus : "Aujourd'hui, moins d'un médecin formé sur dix s'installent. On peut faire exploser le numerus clausus, s'il n'y en a toujours que 10% qui s'installent dans un cabinet, on n'aura jamais réglé le problème."