Et si le virus Zika n'était pas (le seul) responsable de l'explosion du nombre de cas de microcéphalies observés au Brésil depuis le printemps 2015 ? C'est la question que se posent plusieurs chercheurs argentins et brésiliens dans un rapport publié le 3 février dernier. Les scientifiques, coordonnés par le pédiatre Avila Vazquez, émettent l'hypothèse que ces microcéphalies puissent être causées par un pesticide, le pyriproxyfène.
Pourquoi le pyriproxyfène est-il montré du doigt ?
Le pyriproxyfène est un larvicide très utilisé en Amérique latine pour lutter contre le moustique Ædes ægypti. Cet insecte est en effet responsable de la propagation de deux maladies, la dengue et le chinkungunya, qui font des ravages dans ces régions. Les autorités brésiliennes injectent donc du pyriproxyfène dans les réservoirs d'eau potable depuis près de deux ans afin de tuer les larves de moustique.
Pour le docteur Avila Vazquez, des femmes enceintes auraient pu être contaminées en buvant cette eau, donnant ensuite naissance à des enfants souffrant d'anomalies de croissance. Le pédiatre donne plusieurs arguments en ce sens. D'abord, les précédentes épidémies de Zika n'ont "pas causé d'anomalies à la naissance chez les nouveau-nés, alors même que 75% de la population était infectée" par le virus. Ensuite, "on ne recense pas de microcéphalies dans d'autres pays, comme la Colombie, qui comptent beaucoup de cas de Zika". Enfin, le lien de causalité entre le virus Zika et les cas de microcéphalie n'est toujours pas scientifiquement établi.
Cette hypothèse est-elle scientifiquement crédible ?
Pour le parasitologue Daniel Camus, qui coordonne un groupe de travail sur Zika au Haut conseil de la santé publique, "il est normal de se poser la question" du lien entre les pesticides et les cas de microcéphalie observés. "Le virus Zika peut jouer un rôle, mais il peut aussi y avoir des facteurs favorisants", explique le scientifique. "Il est donc possible d'imaginer un effet cumulatif des pesticides et de Zika. Cela peut également être dû à un surdosage du pyriproxyfène."
" Le virus Zika peut jouer un rôle, mais il peut aussi y avoir des facteurs favorisants. "
Mais s'il est légitime de se poser la question, rien n'est établi scientifiquement, loin de là. Les travaux d'Avila Vazquez "sont encore au stade de la réflexion, pas d'une étude à proprement parler", souligne Daniel Camus. Des éléments viennent d'ailleurs apporter une contradiction aux hypothèses du pédiatre argentin. En Polynésie française par exemple, où de nombreux cas de microcéphalie ont été recensés, le pyriproxyfène n'a jamais été utilisé pour lutter contre les moustiques. Le lien entre pesticide et malformations des nouveau-nés n'est donc "pas totalement évident, même si on ne peut pas l'exclure", résume Daniel Camus.
Quelle est la réponse des autorités ?
Le gouvernement fédéral brésilien s'est montré extrêmement ferme, assurant lundi que "l'association entre l'utilisation du pyriproxyfène et la microcéphalie n'a aucune base scientifique". Il a par ailleurs rappelé que l'injection de ce pesticide était effectuée en suivant les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé. Un moyen d'éviter que les doutes émis par Avila Vazquez ne se transforment en rumeur. Celle-ci pourrait se propager d'autant plus rapidement que le pyriproxyfène est fabriqué par Sumitomo Chemical, une compagnie japonaise partenaire du géant américain Monsanto.
Dans ce contexte incertain, l'analyse que l'OMS doit rendre dans les prochains jours sur le lien entre le virus Zika et les microcéphalies est très attendue. Quand bien même elle établirait clairement une causalité entre les deux, le professeur Daniel Camus souligne la "nécessité d'entamer toute une série d'études plus poussées sur la physiopathologie de ces microcéphalies".