Va-t-on devoir réapprendre l'alphabet de la Vie ? Une équipe américaine a créé le premier organisme vivant semi-synthétique qui élargit l'éventail de la nature. L'information génétique de tous les êtres vivants est écrite dans leur ADN, sous la forme d'un enchaînement de quatre molécules de base, ou "lettres", qui constituent l'alphabet du vivant : l'adénine (A), la thymine (T), la guanine (G) et la cytosine (C). Dans la structure en double hélice de l'ADN découverte il y a 60 ans par Watson et Crick, ces lettres sont organisées en deux paires de bases: A-T et C-G.
"Seulement deux paires de bases d'ADN, A-T et C-G, codent toute la diversité de la vie sur Terre. Ce que nous avons créée, c'est un organisme qui contient de façon stable ces deux paires de bases, plus une troisième paire, qui n'existe pas naturellement", a expliqué le Pr Floyd Romesberg, qui a dirigé les recherches, dans la revue Nature.
Le détail. Les chercheurs ont d'abord développé une nouvelle paire de bases, à partir de deux molécules appelées d5SICSTP et dNaMTP. Ils ont ensuite synthétisé un fragment d'ADN contenant les trois paires de bases, et l'ont inséré dans des cellules d'une bactérie, l'Escherichia coli. A leur grande surprise, ils ont constaté que ces cellules d'E. coli pouvaient répliquer l'ADN semi-synthétique. Mais les chercheurs ont toutefois dû leur donner un sérieux coup de main en trouvant un "transporteur" - fourni par une espèce de micro-algue - pour importer artificiellement les nouveaux blocs de construction moléculaire dans les cellules.
Cette limite devrait rassurer les sceptiques qui craignent l'émergence incontrôlée de nouvelles formes de vie, estiment les chercheurs. Le transporteur agit en effet comme un interrupteur: sans lui, les nouvelles bases disparaissent du génome de la cellule.
À quoi ça sert ? "Les tentatives d'étendre l'alphabet génétique remettent en question courageusement l'idée de la nature universelle de l'ADN, et s'exposent potentiellement aux critiques sur la sagesse d'un tel bricolage", souligne Ross Thyer et Jared Ellefson (Université du Texas) dans un éditorial également publié par la revue Nature. La biologie synthétique pourrait avoir de nombreuses applications intéressantes, selon les chercheurs, comme de nouveaux médicaments ou de nouvelles formes de nanotechnologies.