Depuis les conjonctures de Darwin au XIXe siècle, puis les découvertes de fossiles au XXe siècle, la communauté scientifique avait admis une théorie dominante selon laquelle le premier homme à se distinguer des grands singes serait apparu en Afrique. Sauf qu'une équipe de chercheurs allemands, grecs, bulgares et canadiens a publié dans la revue Plos One une étude pour le moins controversée. La nouvelle hypothèse publiée lundi vient remettre en cause cette théorie. Pour ses auteurs, le premier hominidé présentant des caractéristiques humaines serait né en Europe, à l’est du bassin méditerranéen, et non en Afrique.
D’où vient cette nouvelle hypothèse ? En 1944, l’armée allemande construit un bunker en Grèce. Les soldats mettent alors au jour un reste de mâchoire fossilisée. Une dent est également retrouvée en Bulgarie. On nomme alors cette espèce d’hominidé Graecopithèque freybergi, sans plus d’analyses.
Plus de 70 ans plus tard, une équipe de scientifiques décide toutefois de réexaminer ces fossiles à l’aide d’une technologie moderne très sophistiquée : la tomographie, un système d’imagerie capable de reconstruire un objet en 3D à partir de fines couches en 2D.
Surprise : la prémolaire retrouvée en Bulgarie révèle une double racine partiellement fusionnée, caractéristique partagée par l’homme moderne et les premiers hommes. Les grands singes, eux, ont des dents avec deux ou trois racines séparées. Après être retournés sur le site pour réaliser des mesures à partir de la sédimentation du site, les chercheurs arrivent à cette conclusion : la dent fossilisée est non seulement celle d’un hominidé différent des grands singes (qui font eux aussi partie de la famille des hominidés), mais elle date d’environ 7,2 millions d’années.
Or, jusqu’à présent, les scientifiques s’accordaient sur une théorie largement acceptée : les premiers hominidés se seraient distingués des grands singes, (chimpanzés, bonobos, orang-outan, gorilles), en Afrique sahélienne, (possiblement le Tchad actuel), il y a cinq à sept millions d’années.
Que change cette étude dans nos connaissances sur la naissance de l’humanité ? La dent et la mâchoire d’hominidé réexaminées grâce aux techniques modernes seraient donc plus vieilles d’environ 200.000 ans. D’après les conclusions des chercheurs, la séparation entre grands singes et hominidés semble plus ancienne que ce que l’on pensait, et aurait eu lieu sur les rives est du bassin méditerranéen, en Europe, et non en Afrique.
Les travaux de recherche publiés lundi 22 mai remettent donc en cause la théorie majoritaire jusque-là acceptée pour répondre à l’une des plus grandes quêtes de la paléoanthropologie : quel est notre dernier ancêtre commun (DAC) avec les grands singes ?
Selon les scientifiques à l’origine de cette nouvelle hypothèse, il y a 7,2 millions d’années, les Balkans étaient recouverts par une savane qui aurait poussé le Graecopithèque freybergi à se déplacer au sol pour trouver une nourriture nouvelle. Dans le même temps, les vents déplaçaient le sable du Sahara pour créer une barrière naturelle entre Afrique et Eurasie, favorisant l’apparition de deux espèces distinctes : le Graecopithèque européen, et Sahelanthropus tchadensis africain, alias Toumaï ("le premier homme").
Pourquoi cette nouvelle hypothèse est-elle controversée ? L’hominidé africain va-t-il perdre son surnom de "premier homme" suite à cette découverte ? Il reste du chemin avant d’avancer que les Balkans seraient le berceau de l’humanité. Plusieurs spécialistes, tout en reconnaissant l’intérêt de la découverte, on fait remarquer au Washington Post et au Telegraph qu’une seule dent ne suffisait pas pour l’instant à révolutionner les théories actuelles. La quantité très importante de fossiles retrouvés en Afrique, par contraste, tend à attester de la présence d’hominidés très anciens sur le continent africain.
Les chercheurs ont déjà prévu de retourner en Bulgarie pour trouver d’autres dents à analyser. Le site grec, lui, situé en plein cœur d’Athènes, demeure inaccessible à cause de l’urbanisation.