L'australopithèque Lucy a-t-elle été "croquée par un crocodile" ?

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Romain David

Invité de Wendy Bouchard dans Le Tour de la question, sur Europe 1, le scientifique Philippe Charlier explique s'être intéressé aux traces de crocs observées sur le bassin de notre lointaine ancêtre.

On l'a longtemps qualifiée de "grand-mère" de l'humanité. Exhumée par une équipe internationale le 30 novembre 1974 à Hadar en Ethiopie, "Lucy" a longtemps été le plus vieil hominidé jamais découvert. Cet australopithèque parcourait l'est africain il y a 3,2 millions d'années. Si l'étude de son squelette a permis de préciser l'évolution du genre Homo, et en particulier les conditions d'apparition de la bipédie, les causes exactes de sa mort ont longtemps fait mystère. Dans son livre Autopsie des morts célèbres, à paraître le 28 février chez Tallandier, le paléopathologiste Philippe Charlier bouscule la théorie communément admise d'une chute, et évoque une possible attaque… de crocodiles.

Une chute d’une dizaine de mètres. Au regard des fractures observées sur les quatre membres de Lucy, l'anthropologue américain John Kappelman, de l'Université du Texas à Austin, avait, en 2016, expliqué  la mort de l'australopithèque par une chute violente, sans doute d'un arbre d'au moins une dizaine de mètres de haut. "Ça nous semblait un tout petit peu bizarre à Yves Coppens [paléontologue français qui a participé à la découverte de Lucy, ndlr] et moi, et on a réexaminé le squelette et ses fractures", explique Philippe Charlier au micro de Wendy Bouchard dans La France bouge sur Europe 1.

 

>> De 9h à 11h, c’est le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l’émission ici

Des traces de crocs. Ce légiste a eu accès à un scanner à haute définition du corps mais également à un moulage en résine du squelette, l'original étant conservé à Addis-Abeba en Ethiopie. "On s'est rendu compte qu'il y avait, c'est vrai, des fractures, mais en plus des traces de morsures au niveau des fesses.", révèle-t-il. Or, dans la même couche stratigraphique, c'est-à-dire la couche de terre dans laquelle gisait Lucy, se trouvaient également des ossements de sauriens. "Les traces de crocs que l'on a vu au niveau des os du bassin correspondaient à des morsures par certains de ces sauriens", pointe Philippe Charrier, ce qu'a confirmé une série de comparaisons avec des cas médico-légaux actuels d'attaques de crocodiles, notamment en Australie.

Une coulée de boue. Philippe Charlier rappelle également que le squelette a été retrouvé dispersé sur une centaine de mètres. "Ça coïncidait à un morcellement du corps, mais également avec une couche de destruction comme on en voit quand il y a une coulée de boue". Autant d'éléments qui permettent au scientifique de se risquer à un scénario plus précis des derniers instants de l'australopithèque. "L'histoire n'est pas si simple. Elle est peut être tombée d'un arbre, c’est possible. Mais peut-être qu'après, elle a eu encore moins de chance et qu'elle a été croquée par un crocodile puis prise dans une coulée de boue", avance-t-il.

La-haut, dans les branches. Car derrière les conditions de la mort de Lucy se masque un autre débat, non résolu celui-là : les premières espèces bipèdes vivaient-elle encore dans les arbres, ou évoluaient-elles déjà pleinement sur le plancher des vaches ? En n'excluant pas totalement l'hypothèse d'une chute, Philippe Charlier laisse cette question entre les mains des paléoanthropologues. En 2016, une étude américaine publiée dans la revue Plos One concluait, sur la base d’une imagerie très haute définition, que Lucy passait au moins un tiers de son temps dans les branches.