"Four, three, two, one..." Des secondes qui entrent dans l'histoire : samedi, 15h22 (19h22 GMT), la fusée Falcon9 de SpaceX avec deux astronautes à son bord, décolle et file à une vitesse de 25000 km/h, sous le regard de millions de personnes scotchées devant leur écran. Dans le centre de contrôle les équipes jubilent, le lancement de la mission SpaceX ressuscite le rêve de conquête spatiale américaine. Petit point brûlant s'évanouissant dans le ciel, la fusée a propulsé les astronautes Bob Behnken et Doug Hurley en dix minutes 200 km au-dessus des océans, filant à 20 fois la vitesse du son vers la Station spatiale internationale (ISS) à laquelle ils s'amarreront automatiquement dimanche à 14H29 GMT si tout se poursuit normalement.
Ascension retransmise en direct
L'ascension hypersonique des deux astronautes a été retransmise en direct par des caméras à l'intérieur de leur capsule Crew Dragon, et une fois tranquilles en orbite, les deux meilleurs amis en ont offert une visite guidée, faisant des galipettes en apesanteur, au-dessus de Terre-Neuve. Ils ont baptisé leur vaisseau Endeavour, clin d'oeil à la navette dans laquelle chacun a voyagé à la fin des années 2000.
La météo changeante n'a finalement pas provoqué de second report, alors que des risques de foudre avait reporté de mercredi à samedi ce décollage. La fusée construite par SpaceX près de Los Angeles a décollé sans encombre, dans un ciel finalement largement bleu, du centre spatial Kennedy, sous les yeux de dizaines de milliers de personnes installées le long des plages de la zone.
Un grand moment auquel Donald Trump a également tenu à assister en personne malgré les émeutes qui secouent le pays depuis plusieurs jours : "Nous sommes réunis aujourd'hui pour célébrer le lancement d'une nouvelle navette mais aussi le retour triomphant de notre nation sous les étoiles", a-t-il déclaré.
Victoire également politique, la Nasa reprend ainsi les vols spatiaux habités lancés depuis le sol américain alors qu'elle était obligée depuis neuf ans de passer par la Russie. "Nous n'avions plus vu d'astronautes américains s'envoler du territoire américain à bord de fusées américaines depuis neuf ans", a dit l'administrateur de la Nasa, Jim Bridenstine. "Aujourd'hui, nous l'avons refait". "D'anciens dirigeants ont mis les Etats-Unis à la merci de pays étrangers pour envoyer nos astronautes en orbite. C'est fini", a ajouté le Président Trump.
Pour ce dernier, les Etats-Unis reprennent leur place de leader, et il promet que le meilleur reste à venir avec un retour sur la Lune et des missions pour Mars.
Elon Musk "submergé d'émotion"
"Le lancement d'aujourd'hui démontre que l'avenir appartient à l'industrie spatiale privée", a également lancé le Président, après avoir fait applaudir Elon Musk, le fondateur de SpaceX en 2002. Car la réussite de la mission est aussi une victoire pour le milliardaire américain, visiblement très ému : "Je suis submergé d'émotion", a dit le patron lors d'une conférence de presse plus tard. "J'ai du mal à parler, cela fait 18 ans que nous travaillions avec cet objectif. J'ai du mal à croire que c'est arrivé". Le patron de SpaceX, première compagnie privée à réussir cet exploit, espère que cela enclenchera une vraie exploration de l'espace, avec à termes des vols ouverts au public.
La mission peut sembler un pas modeste dans l'exploration spatiale : "Bob" et "Doug" n'iront ni sur la Lune ni vers Mars, seulement dans la vieille station spatiale, à 400 km de la Terre, où Russes et Américains et d'autres vont et viennent depuis 1998. La Nasa, pourtant, y voit une "révolution", car SpaceX va redonner aux Etats-Unis un accès à l'espace, moins cher que ses programmes précédents. Pour trois milliards accordés depuis 2011 dans le cadre d'un contrat à prix fixe, SpaceX a entièrement développé un nouveau taxi spatial et promis six allers-retours vers l'ISS. Auparavant, l'agence spatiale commandait un véhicule spécifique aux géants de l'industrie, et assumait tous les dépassements budgétaires.
Ce faisant, l'ex-start-up a battu Boeing, dont la capsule Starliner a raté un vol d'essai à vide l'an dernier. Ajoutant à la mythologie naissante de la société, le lancement s'est fait depuis le pas 39A d'où décollèrent les missions Apollo d'exploration de la Lune dans les années 1960 et 1970. Pour Elon Musk, génial et impétueux entrepreneur obsédé par la planète rouge, les sauts de puce à 400 km de la Terre ne sont qu'une étape, "une première étape dans notre voyage pour établir une civilisation sur Mars", et faire de l'humanité une "espèce multiplanétaire".