On y avait déjà détecté du monoxyde, du dioxyde de carbone, de la vapeur d'eau, de l'ammoniac, de l'azote. Du classique pour un comète. Mais voilà que selon une étude publiée dans Nature mercredi, 67P Tchourioumov-Guérassimenko dégage aussi du dioxygène (O2), plus familièrement appelé oxygène. Une découverte capitale. Explications.
I've detected molecular oxygen that was likely incorporated into #67P during its formation! https://t.co/Mpqe21Dt57pic.twitter.com/LOFKzp9B9K
— ESA Rosetta Mission (@ESA_Rosetta) 28 Octobre 2015
Où a été découvert cet oxygène ?
67P Tchourioumov-Guérassimenko, "Tchouri" pour les intimes, est un gros caillou. D'une taille initiale de quatre kilomètres de long, il fond sous l'effet des rayons du Soleil. Et même si aujourd'hui Tchouri s'éloigne de notre étoile, elle continue à "maigrir" sous l'effet de son "dégazage". Tchouri dégage donc toujours à sa suite une chevelure riches en gaz et en molécules. C'est dans cette queue de comète que la sonde Rosetta, en orbite autour de Tchouri depuis désormais 15 mois, a pu renifler de l'oxygène. Et en proportion importante puisque le gaz pèse jusqu'à 10% de la vapeur d'eau, soit 10 fois plus que dans le reste du milieu interstellaire.
D'où vient l'oxygène de Tchouri ?
Dans un premier temps, les scientifiques, trop stupéfaits de cette découverte, n'avait qu'une hypothèse. L'oxygène reniflé par la sonde Rosetta venait… de Rosetta elle-même. Mais au bout de sept mois d'analyse, les chercheurs en ont déduit que c'est bel et bien Tchouri qui dégageait ce gaz.
Deux scénarii sont alors possibles. Le premier veut que l'oxygène se soit "fabriqué" à la surface de Tchouri. Par quel moyen ? La radiolyse. Les rayons du soleil par leur énergie auraient "cassé" les molécules d'eau gelée (H2O) présentes à la surface de la comète, créant ainsi de l'O2. Mais ce processus n'aurait produit de l'oxygène qu'en quantité réduite. Or, depuis sept mois, Rosetta respire de l'oxygène à pleins poumons.
L'autre scénario pourrait donc avoir la préférence des scientifiques. Il proviendrait plutôt des entrailles de Tchouri. Piégé dans ses glaces, le gaz se libérerait au fur et à mesure de la fonte de la comète. Mais cette supposition signifierait que l'oxygène était présent en grande quantité lors de la formation de la comète il y a 4,5 milliards d'années. Ce qui n'est pas forcément compatible avec les connaissances actuelles des astro-physiciens.
Une image prise par la sonde Rosetta de la surface de la comète Tchouri.
L'oxygène est-il une chose courante dans l'Univers ?
Cela dépend de quel oxygène on parle. L'oxygène sous forme d'atome est très abondant dans l'Univers. Mais il se combine le plus souvent à d'autres molécules afin de former de l'eau (H2O) ou du gaz carbonique (CO2).
Si on parle d'oxygène sous forme gazeuse, les quantités sont bien moindres. Il est "commun sur Terre" mais "ce n'est pas si abondant que ça dans l'Univers et dans le système solaire", explique Alain Cirou, consultant scientifique d'Europe 1 et rédacteur en chef du magazine "Ciel et espace". Le télescope spatial Herschel a pu en observer sur Ganymède, Europe et Callisto, des lunes de Jupiter, mais aussi dans les anneaux de Saturne. Il y aurait aussi de l'oxygène gazeux dans deux nébuleuses, des gros nuages riches en molécules qui sont des pouponnières à étoiles.
Mais à quoi sert cette découverte ?
Pour Alain Cirou, "c'est comme trouver dans une part de gâteau un grumeau, ce grumeau va vous raconter quelle est la recette du gâteau". Il va falloir chercher par exemple "de quoi il est composé", "à quel température le gâteau a été cuit". "C'est ce que font les astronomes avec Tchouri, ils respirent la comète et ils vont essayer de reconstituer l'histoire du système solaire, comment il s'est fabriqué", explique ce spécialiste.
Mais les scientifiques vont aussi devoir revoir leur théorie, "repenser la composition du matériau primordial", explique Alain Cirou. Autrement dit, si Tchouri est bourrée d'oxygène, cela voudrait dire ce gaz existait en abondance avant même la création de notre système solaire. Selon Matt Taylor, l'un des responsables de la mission Rosetta, le résultat est "intriguant pour les études à la fois dans et en-dehors de la communauté des comètes, avec des implications possibles pour nos modèles de l'évolution du système solaire".