15 ans après, la liste des victimes d’AZF continue de s’allonger

En 2001, l'explosion de l'usine AZF de Toulouse avait fait 31 morts (photo d'archives).
En 2001, l'explosion de l'usine AZF de Toulouse avait fait 31 morts (photo d'archives). © ERIC CABANIS / AFP
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M.L avec AFP , modifié à
L'explosion de l'usine AZF à Toulouse, le 21 septembre 2001, a eu des conséquences dévastatrices, physiques et mentales, sur des milliers de victimes. 2.700 d'entre elles sont parties civiles au deuxième procès en appel qui s'ouvre mardi, à Paris.

En 2001, Alain Fabresse travaillait chez Cegelec-Alstom, non loin d'AZF. Comme beaucoup de Toulousains, il a ressenti de plein fouet le souffle de l'explosion de l'usine, le 21 septembre. Mais le cadre ne pensait souffrir d'aucune séquelle. "Je n'ai eu des bourdonnements qu'à partir de 2002", raconte-t-il. "On m'a juste dit qu'il fallait souffler par le nez et que ça passerait." Depuis, les sifflements ont empiré. En 2009, un ORL a posé un diagnostic sur son mal : Alain Fabresse souffre d'un traumatisme dû à AZF. Comme des milliers d'autres, il vit aujourd'hui avec des acouphènes qui ne lui donnent "aucun répit", jour et nuit. Et comme des milliers d'autres, il ne s'en est rendu compte que bien après la pire catastrophe industrielle française depuis 1945, dont le deuxième procès en appel s'ouvre mardi, à Paris.                

Un bilan sous-estimé après l'explosion. Selon le décompte établi en septembre 2002 par la préfecture de Haute-Garonne, l'explosion de l'usine AZF a fait 31 morts et 2.242 blessés. Depuis, d'autres décès ont été reconnus "imputables à l'explosion", mais "personne n'a obtenu de chiffre officiel, selon l'Association des sinistrés du 21 septembre. En 2007, le nombre de blessés a été réévalué  à 8.000 par l'Institut national de veille sanitaire (InVs), qui précisait qu'une personne sur quatre se trouvant à moins de 1.700 mètres de l'explosion déclarait avoir été blessée.

En 2003, près de la moitié des personnes résidant dans le périmètre établi par l'InVs se plaignaient d'acouphènes et/ou d'hyperacousie. Un quart affirmait souffrir de vertiges. En 2007, ils étaient encore respectivement 40% et 20% environ, selon l'institut. Plus de 15 ans après la catastrophe, "on découvre ainsi toujours des victimes", assure Pauline Miranda, présidente de l'Association des sinistrés.

Une difficile reconnaissance. Un chiffrage précis est d'autant plus compliqué à établir que beaucoup de victimes ne se sont jamais signalées auprès des autorités. Selon l'InVs, "parmi les personnes ayant déclaré des séquelles physiques, seulement une sur dix environ a demandé une reconnaissance officielle". Le phénomène est lié aux délais établis par AON, l'assureur de l'opérateur du site AZF, Total. Quand Alain Fabresse a pris conscience de la relation entre la catastrophe et ses problèmes d'audition, il était par exemple trop tard pour porter réclamation.  

"Je ne comprends pas : si j'ai un problème quelques années après, ce n'est quand même pas ma faute", souligne l'ancien cadre, s'estimant être une "victime invisible, oubliée". Contre la perte d'audition dont il souffre également, il a dû s'appareiller, à 4.000 euros l'oreille, dont seulement 420 remboursés par la Sécurité sociale et la mutuelle. "Et les appareils doivent être changés tous les cinq ans." Pour tenter d'obtenir le défraiement par l'assurance de Total, l'opérateur du site, comme les victimes qui se sont déclarées peu après la catastrophe, le sexagénaire se fait aider par l'Association des sinistrés. Selon le groupe, plus de 4.500 dossiers ont été ouverts pour des dommages corporels depuis la catastrophe, dont 99% traités à l'amiable dans l'année qui a suivi la catastrophe. Les victimes parlent, elles, de 19.000 dossiers au moins.

Des séquelles psychologiques. Autre écueil : au-delà des séquelles physiques, les maux psychologiques liés à la catastrophe n'ont fait l'objet d'aucun recensement actualisé, ni d'aucune indemnisation. En septembre 2002, la préfecture évaluait à 5.000 les consultations médicales pour troubles psychologiques - l'explosion, survenue dix jours après les attentats du 11-Septembre, a fait croire à beaucoup que Toulouse était à son tour ciblée par une attaque -, tout en reconnaissant que l'impact réel était "sans doute supérieur", car ce chiffre n'incluait pas les personnes n'ayant pas consulté.

Or, dans un rayon d'environ 3 km autour de l'usine, "19 % des femmes et 8 % des hommes ont rapporté une symptomatologie d'état de stress post-traumatique (SESPT), des scores élevés de symptômes de dépressivité et une consommation élevée de médicaments psychotropes", selon un rapport de l'InVs d'octobre 2006. Les enfants ont été particulièrement touchés : dans la même zone, près d'un élève sur trois présentait une SESPT et un sur cinq des symptômes dépressifs, selon un autre rapport de l'Institut, daté de mars 2006.

 

Les grandes dates d'une affaire hors normes

21 septembre 2001 : À 10h17, une énorme explosion de 300 tonnes de nitrates d'ammonium stocké dans le hangar 221 d'AZF retentit à Toulouse. La catastrophe fait 31 morts.

24 septembre 2001 : Le procureur Michel Bréard crée la polémique en estimant qu'il y a "99% de chances pour que ce soit un accident". Le directeur de l'usine, Serge Biechlin, et son propriétaire, Grande Paroisse (groupe Total), sont renvoyés en correctionnelle pour homicides et blessures involontaires.

22 février 2009 : Le premier procès AZF s'ouvre devant le tribunal correctionnel. Le 29 juin, après quatre mois d'audience, Serge Biechlin et Grande Paroisse sont relaxés "au bénéfice du doute". Le parquet fait appel.

24 septembre 2012 : À  l'issue du procès en appel, Serge Biechlin est condamné à trois ans de prison dont deux avec sursis et 45.000 euros d'amende pour homicides involontaires. La cour lui reproche de s'être désintéressé "totalement" du regroupement de produits incompatibles. Grande Paroisse est condamnée à 225.000 euros d'amende.

13 janvier 2015 : La chambre criminelle de la Cour de cassation casse l'arrêt de Toulouse et confie le dossier à la cour d'appel de Paris pour un nouveau procès. Elle juge qu'un magistrat de Toulouse, impliqué dans l'aide aux victimes, n'aurait pas dû siéger.

24 janvier 2017 : Le deuxième procès en appel s'ouvre à Paris.