Maurice Audin est "mort sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France". C'est la formulation finalement retenue par l'Elysée, jeudi, 61 ans après la disparition du mathématicien et militant communiste, officiellement restée inexpliquée jusqu'alors. Le député LREM Cédric Villani, proche de la famille Audin, a lui été plus loin, évoquant une "reconnaissance de la responsabilité de l'État" dans la mort du jeune homme. Les archives sur le sujet des disparus civils et militaires vont en outre être ouvertes pour faire avancer les investigations dans d'autres affaires similaires à celle-ci, l'une des plus mystérieuses de la guerre d'Algérie.
Arrêté à son domicile d'Alger. Le 11 juin 1957, Maurice Audin, 25 ans, assistant de mathématiques à la faculté d'Alger, est arrêté à son domicile. Depuis le mois de janvier, la capitale algérienne est secouée par une bataille opposant les indépendantistes du FLN (Front de libération nationale) aux hommes du général Jacques Massu, commandant de la 10ème division parachutiste de l'Armée française. Audin, marié et père de trois enfants, est soupçonné d'être venu en aide aux combattants du FLN.
La chronologie de la suite des événements, fruit du travail de plusieurs historiens, ne sera connue de la famille du jeune assistant que des années plus tard. Maurice Audin est conduit au centre d'interrogatoires d'El-Biar, sur les hauteurs d'Alger. Il subit des séances de torture, tout comme son ami Henri Alleg, ancien directeur du quotidien Alger Républicain, également arrêté par les parachutistes. "Je recevais des coups, j'étais agenouillé, quand j'ai entendu Charbonnier (lieutenant de l'armée française, ndlr) dire : 'Amenez Audin, il est dans l'autre bâtiment'", témoignera le journaliste auprès du Monde. "Je le voyais à peine, sans mes lunettes. (...) À voir la tête de Maurice, même dans le brouillard où j'étais, j'ai compris qu'il avait été torturé. Cela n'a pas duré longtemps, une minute ou deux. Le temps pour lui de me dire : 'c'est dur, Henri'."
Une "évasion au cours d'un transfert". Cité par Libération, un codétenu du mathématicien se souvient l'avoir vu vivant le 18 juin, porteur de traces de brûlures au lobe de l'oreille et au pied. Dans la nuit du 21, Henri Alleg entend une voiture démarrer puis s'éloigner dans la cour d'El-Biar, suivi d'une rafale de mitraillette. "J'ai pensé : 'Audin'. Pour moi, il n'y a aucun doute possible : il a été assassiné. Est-ce que tout ça a été planifié ou est-ce qu'il est mort lors d'un interrogatoire qui a mal tourné ? Je n'ai pas la réponse." Josette, l'épouse du membre du Parti communiste, ne reçoit aucune explication officielle à la disparition de son mari, si ce n'est "son évasion au cours d'un transfert".
Josette, militante elle aussi, n'y croit pas et dépose plainte contre X pour homicide volontaire. Un comité de soutien se constitue autour d'elle et l'affaire, loin d'être un cas isolé, prend une tournure médiatique. La jeune femme, dont le plus jeune des enfants, Pierre, n'a qu'un mois, comprend que son mari ne reviendra pas. Que lui est-il arrivé ? Selon le quotidien communiste L'Humanité, Maurice Audin a été étranglé à El-Biar, par un lieutenant parachutiste de l'armée française. "Le tortionnaire a même été fait commandeur de la Légion d'honneur", écrira le journal le 4 décembre 1997.
"Il est mort durant sa détention". Dans l'Affaire Audin, un livre paru en 1958, l'historien Pierre Vidal-Naquet affirme lui que le mathématicien, devenu une sorte d'étendard de la lutte anti-coloniale, est mort sous la torture. Plus de cinquante ans plus tard, en 2014, le journaliste Jean-Charles Deniau, auteur de La vérité sur la mort de Maurice Audin, assure que le jeune homme a été tué par un sous-officier, sur ordre du général Massu. François Hollande, alors président de la République, reconnaît l'existence de "documents" et de "témoignages" "suffisamment nombreux et concordants pour infirmer la thèse de l'évasion". Et d'affirmer : "Monsieur Audin ne s'est pas évadé. Il est mort durant sa détention."
Plus de soixante ans plus tard, la vérité peut-elle encore éclater sur la mort de Maurice Audin, dont le corps n'a jamais été retrouvé ? Pas certain que la situation évolue beaucoup, les archives concernant cette affaire étant déjà ouvertes depuis 2013. Mais, symboliquement, Emmanuel Macron a demandé "pardon" à Josette Audin, jeudi. "Depuis le début, il ne s'agit pas d'un combat égoïste pour savoir ce qu'il s'est passé", a quant à lui estimé Pierre Audin, le fils cadet du mathématicien, interrogé par Europe 1. "Il s'agit de savoir ce qu'il s'est passé le concernant parce qu'il y en a des milliers et des milliers comme lui."