Pour la première fois samedi, Nicolas Sarkozy s’est déclaré favorable à l’abrogation de la loi sur le mariage pour tous. L’ancien chef de l'Etat, actuel candidat à la présidence de l’UMP participait à un meeting du collectif Sens commun, une association née au sein de l'UMP dans le sillage de la Manif pour tous. Chahuté alors qu'il évoquait une "réécriture" de la loi, Nicolas Sarkozy a fini par prononcer le mot que voulaient entendre les militants présents dans la salle.
"La loi Taubira devra être réécrite de fond en comble. (...) Si vous préférez qu'on dise [qu'il faut] abroger la loi Taubira pour en faire une autre... En français, ça veut dire la même chose. Ça aboutit au même résultat. Mais enfin, si ça vous fait plaisir, franchement, ça coûte pas très cher". Ça ne coûte pas très cher, effectivement mais juridiquement, cette promesse faite aux anti-mariage pour tous a très peu de chances d'être appliquée.
>>> Explications avec les professeurs de droit constitutionnel Dominique Rousseau et Didier Maus
• EST-IL POSSIBLE D'ABROGER CETTE LOI ?
Oui, en théorie … Dans l'histoire de la Ve République, jamais un gouvernement ne s'est risqué à revenir sur une avancée sociétale tels que le droit à l'avortement, l'abolition de la peine de mort ou encore le Pacs. Mais d'un strict point de vue juridique, le législateur peut tout à fait abroger une loi votée quelques années auparavant. "Ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire", résume le constitutionnaliste Didier Maus. "En tant que tel, supprimer la possibilité pour deux personnes de même sexe de se marier est possible", affirme le juriste.
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… mais les Sages veillent. Son collègue Dominique Rousseau, professeur de droit à la Sorbonne, tempère aussitôt. "Oui, le législateur peut abroger un texte voté quelques années auparavant. Pour autant, nuance immédiatement le juriste, lorsqu'il refait une loi, le législateur n'a pas une liberté totale de réécriture". "Depuis 1986 en effet, le Conseil constitutionnel impose au législateur de ne pas priver "de garanties légales des exigences de valeur constitutionnelle".
• LE MARIAGE EST-IL UN DROIT FONDAMENTAL ?
Dans le cas de la loi Taubira, le législateur ne pourra pas, en pratique, supprimer d'un simple trait de plume le mariage ouvrant le mariage pour tous. Pour deux raisons. La première, c'est que pour les Sages de la rue de Montpensier, la liberté du mariage est une liberté fondamentale. "Depuis une jurisprudence de 1993, la liberté du mariage est une composante de la liberté personnelle qui résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen", analyse Dominique Rousseau.
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Par ailleurs, à partir du moment où une liberté fondamentale a été ouverte à une catégorie de citoyens, on ne peut pas revenir en arrière. Pour protéger ces droits acquis, détaille à l'AFP l'avocate Me Mecary, le Conseil constitutionnel a en effet "développé ce qu'on appelle la jurisprudence 'cliquet'". Une référence au système mécanique empêchant une roue dentée de revenir en arrière. Ainsi, le 11 octobre 1984, les Sages ont rejeté une loi sur la presse en "considérant que, s'agissant d'une liberté fondamentale, la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif".
• DES COUPLES "DÉMARIÉS" ?
C'est impossible. Tous les couples mariés et/ou ayant eu recours à l'adoption depuis l'entrée en vigueur de la loi Taubira, ne vont pas, du jour au lendemain, être forcé au divorce ou se voir enlever une adoption sous prétexte que le texte n'existe plus. Au nom du principe constitutionnel de non-rétroactivité des lois. "La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif", peut-on ainsi lire à l'article 2 du Code civil.
• UN MARIAGE TAUBIRA ET UN MARIAGE SARKOZY ?
Si vous avez bien suivi, le législateur ne pourra en aucun cas "démarier" des couples mariés sous la loi Taubira. Quand bien même Nicolas Sarkozy créerait une nouvelle union pour les couples homosexuels, on aboutira forcément à une inégalité de traitement. "Il ne pourra pas y avoir un régime Taubira et un régime Sarkozy, sinon, cela portera atteinte au principe d'égalité entre des personnes qui sont pourtant dans des situations identiques", décrypte Dominique Rousseau. En effet, on aboutirait à une situation où des couples unis avant l'abrogation bénéficieraient de droits auxquels d'autres couples ne pourraient plus prétendre. Impensable.
• UN RÉFÉRENDUM POUR PASSER EN FORCE ?
Si Nicolas Sarkozy voulait abroger la loi Taubira sans s'embêter avec les garanties constitutionnelles, il existe bel et bien un moyen : le référendum. Ce recours constitue "une voie de sortie puisque les Sages de la rue de Montpensier se sont déclarés incompétents dès 1962 pour contrôler les lois adoptées par référendum", explique le constitutionnaliste.
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