L'INFO. Nicolas Sarkozy est intervenu dès 2004 pour un règlement à l'amiable, en dehors des tribunaux, du conflit entre Bernard Tapie et le Crédit lyonnais, en donnant l'instruction d'entamer une médiation, contre l'avis du Consortium de réalisation (CDR), a déclaré son ancien président, Jean-Pierre Aubert. Cet organisme public était chargé de solder le passif du Crédit Lyonnais et notamment le conflit entre l'ancienne banque publique et Bernard Tapie, qui s'estimait grugé lors de la vente d'Adidas.
>> Pour faire le point : qui est qui dans l'affaire Tapie ?
"Une très mauvaise idée". "Début juillet 2004, quand Nicolas Sarkozy était ministre de l'Économie, Claude Guéant m'avait fait venir dans son bureau et m'avait demandé d'accepter une solution transactionnelle. Je lui ai dit "non"", a affirmé Jean-Pierre Aubert, patron du CDR de fin 2001 à fin 2006. Selon lui, un autre conseiller de Nicolas Sarkozy, François Pérol, avait fait la même démarche, en vain. "Nicolas Sarkozy a souhaité me voir en septembre/octobre 2004. Il m'a réitéré lui-même fortement cette demande, mais je lui ai dit que ça me paraissait une très mauvaise idée", a poursuivi l'ancien patron du CDR.
Il pose ses conditions. Selon lui, Nicolas Sarkozy lui a alors donné instruction d'ouvrir une médiation: "Je ne pouvais pas refuser, mais j'ai posé deux conditions : que je puisse nommer un médiateur incontesté et incontestable et que le CDR n'ait jamais à faire un chèque, ne serait-ce que d'un euro, aux époux Tapie". Confiée entre novembre 2004 et mars/avril 2005 à Jean-François Burgelin, ancien procureur près de la Cour de cassation, cette médiation a échoué, Bernard Tapie en ayant refusé les conclusions : il aurait dû apporter l'ensemble de ses actifs, y compris son hôtel particulier à Paris, et de son côté, le CDR aurait effacé tout ou partie de ses créances de 120 millions d'euros.
Bernard Tapie confirme. En 2005, la cour d'appel de Paris a alors condamné le CDR à payer 135 millions d'euros à Bernard Tapie, un arrêt cassé en 2006 par la Cour de cassation. Mais, en 2007, un tribunal arbitral (privé) a été saisi et a condamné le CDR à verser environ 400 millions d'euros. Cet arbitrage fait aujourd'hui l'objet d'une enquête. Bernard Tapie a affirmé samedi qu'il était "tout à fait exact qu'en 2004 les services de Nicolas Sarkozy souhaitaient et espéraient une médiation". Mais selon lui, "elle a échoué, car la proposition du CDR, c'était "on ne lui donne rien et on lui prend tout ce qu'il a".
Le CDR risquait beaucoup. Répondant aux affirmations de Jean-Pierre Aubert, dont il a tenu à souligner qu'il était "maire socialiste de Barcelonnette", dans les Alpes de Haute-Provence, Bernard Tapie a encore affirmé : "Son explication, pour justifier cette position, c'était que le CDR dans cette affaire ne risque rien. Un an après, le CDR était condamné à (quelque) 140 millions d'euros". "Ce sont les mêmes qui ont poussé (l'ex-ministre de l'Economie Thierry) Breton à aller en cassation de ce jugement. Résultat, 340 millions par le tribunal arbitral. En attendant la suite...", a ironisé Bernard Tapie. Une médiation et un arbitrage permettent de solder un conflit sans passer par les tribunaux. Alors qu'une médiation permet d'aboutir à un accord négocié entre des parties via un intermédiaire, lors d'un arbitrage, les parties font valoir leurs arguments mais doivent accepter la sentence délivrée.
Le CDR en position de faiblesse. En 2004, Jean-Pierre Aubert était défavorable à une médiation car il craignait que l'imminence de l'ouverture de la procédure devant la Cour d'appel place le CDR "dans une position de faiblesse". Il s'interroge en outre sur le choix de recourir à un arbitrage après la décision de la Cour de cassation : "Pourquoi dessaisir la justice de la République, qui venait de donner raison au CDR après dix ans de procédure, pour confier cette affaire à une justice privée" en faisant appel à un arbitrage ? Dans l'enquête sur les conditions du recours à l'arbitrage, le successeur de Jean-Pierre Aubert à la tête du CDR, Jean-François Rocchi, a été mis en examen cette semaine pour "escroquerie en bande organisée", de même que le PDG d'Orange, Stéphane Richard, alors directeur de cabinet de la ministre de l'Économie Christine Lagarde. Deux proches collaborateurs à l'Elysée de Nicolas Sarkozy en 2007, François Pérol et Claude Guéant, sont désormais dans le collimateur des enquêteurs.