Pas de principal prévenu, pas de témoin-clé, pas de victime directe sur le banc des parties civiles… Le procès Chirac a des airs de bal des absents depuis son ouverture, il y a deux semaines, au tribunal correctionnel de Paris. Anticor n’en a finalement que plus d’espace pour s’exprimer. La journée de lundi était précisément consacrée aux plaidoiries des parties civiles, et l’association anti-corruption en a occupé la plus large part. Pendant plus de deux heures, ses deux avocats ont plaidé dans le sens d’une condamnation sévère pour les 28 emplois fictifs de la mairie de Paris, objet des débats lors des deux semaines précédentes.
Anticipant le réquisitoire du parquet toujours aussi absent lors des débats, et qui devrait réclamer mardi la relaxe des 10 prévenus, dont Jacques Chirac, Mes Karsenti et Afana-Jacquart se sont alors substitués au parquet. Ils ont ainsi rappelé que les 28 contrats retenus lors du procès ne sont qu’une partie des faits réels, la plupart des autres ayant été frappés de prescription. Me Jérôme Karsenti a identifié un "triple préjudice" subi du fait de l'action d'un "maire autoritaire, au-dessus des lois": "une atteinte aux deniers publics", un "détournement à des fins personnelles" et un "faussement du jeu démocratique".
"La mairie de Paris n’était pas un capharnaüm"
Surtout, les avocats d’Anticor ont récusé la défense de l’ancien maire de Paris selon laquelle Jacques Chirac ne pouvait être au courant de tout, l’Hôtel de Ville comptant quelque 40.000 fonctionnaires. "La mairie de Paris n’était pas un capharnaüm, une pétaudière", a lancé Me Afana-Jacquart, reprenant à dessein un terme employé plus tôt dans le procès par Me Jean Veil, représentant de Jacques Chirac. "Elle était gérée, certes mal, et il y avait une vision très coordonnée du maire de Paris Jacques Chirac, aidé de ses directeurs de cabinet" Michel Roussin et Rémy Chardon, également prévenus dans ce procès.
Et l’objectif était avant tout politique, ont souligné les deux avocats. "M. Chirac a organisé avec les 'chargés de mission' de la Ville de Paris son réseau d'influence avec pour objectif final l'Elysée, qui a été atteint en 1995", a déclaré Me Karsenti. L’avocat a accusé l’ancien président de la République d’avoir organisé le "système des chargés de mission" dès 1977, en sachant que "l'aboutissement était la création d'emplois fictifs en faveur du RPR, de ses proches et de lui-même". Avec notamment la mise en place de "camouflages" qui, a soutenu son collègue, ont fonctionné un temps mais sont aujourd’hui la preuve de la culpabilité du grand absent des débats. Il y avait d’abord l’absence de l’identification des missions sur les contrats de travail, et un système de notation à la charge des directeurs de cabinet, avec souvent des notes très élevées.
49.946,07 euros de dommages et intérêts
Anticor s’est notamment appuyé sur l’exemple de Marie-Thérèse Poujade. Epouse d'un important élu RPR, elle a perçu 450.000 euros de 1981 à 1993 pour des "conseils culturels" dont il ne reste aucune trace, et ce sans jamais se rendre à l'Hôtel de ville. Autant d’éléments qui ne l’ont pas empêché de recueillir la note de 20 sur 20 dans son évaluation.
Face à cette longue et fastidieuse démonstration, le président a parfois montré des signes d’impatience. "Je crois que j’ai dépassé de 2 ou 3 minutes", a souri pour conclure Me Karsenti, déclenchant les rires de la salle. Puis l’avocat s’est fait plus grave : "au total, nous réclamons 47.946,07 euros au titre de dommages et intérêts et 50.000 euros de frais de justice."
Mardi, la parole sera à l’accusation, représentée par Michel Maes et Chantal de Leiris. A rebours du rôle habituel du parquet, ils tenteront de démontrer l’innocence des prévenus. Un nouvel épisode étrange dans ce procès décidément pas comme les autres.