Bac de philo : le debrief des sujets en ES

Europe1.fr a demandé à plusieurs profs de philo de donner les "clés" de chaque sujet.
Europe1.fr a demandé à plusieurs profs de philo de donner les "clés" de chaque sujet. © MAX PPP
  • Copié
et Cécile Bouachaud , modifié à
MODE D’EMPLOI - Europe1.fr a demandé à plusieurs profs de philo de donner les "clés" de chaque sujet.

Laurence Hansen-Love, Geoffroy Lauvau et Damien Theillier, professeurs de philosophie, ont accepté de "plancher" pour Europe1.fr sur les deux sujets proposés pour l’épreuve du baccalauréat en série ES.

>> Retrouvez le debrief de la série L, en cliquant ici.

>> Retrouvez le debrief de la série S, en cliquant ici.

Peut-il exister des désirs naturels ?

Le débrief de Damien Theillier, prof de philo aux lycées Saint-Louis de Gonzague et Stanislas à Paris, auteur du site cours-de-philosophie.fr

Le hors-sujet à éviter : Il ne fallait pas traiter le sujet sur le plan moral. On est dans une perspective théorique et culturelle, sur l’origine des désirs et pas sur leur valeur.  Il fallait discuter la question comme "est-ce que les désirs viennent de la société ou de notre nature ?"

Les notions incontournables : Désir et besoin : il faut comparer et distinguer. Nature et culture : soit le désir est naturel, soit il est culturel.

L’auteur à côté duquel il ne fallait pas passer : René Girard. C’est un auteur contemporain qui a beaucoup apporté sur cette question. Il dit que le désir vient de l’imitation, de l’admiration des autres. Le désir ne vient pas seul. On pouvait aussi citer Spinoza, qui dit que ce n’est pas parce qu’une chose est bonne qu’on la désire mais que c’est parce qu’on la désire qu’elle devient bonne. Enfin, on pouvait aussi s’appuyer sur des sociologues, comme Bourdieu.

La référence d’actualité : Je conseille à mes élèves de ne pas parler d’actualité. C’est trop récent, trop polémique. Et ça peut donner l’impression au correcteur que l’élève a passé plus de temps devant la télé qu’à lire les philosophes. Donc moins il y a de références d’actu, mieux c’est.

Le point bonus : La copie qui sortira du lot est celle qui distingue entre l’origine du désir et son développement. On peut soit dire que l’origine est naturelle et son développement culturel, ou bien l’inverse.  Là, on sera au cœur du sujet et de l’enjeu.

Le debrief de Laurence Hansen-Love, prof de philo aux lycées Buffon et Jules Ferry à Paris, auteur du blog hansen-love.com.

Le hors-sujet à éviter : Il ne fallait pas confondre désir et besoin, ni désir et plaisir. Il y a des besoins et des désirs naturels, donc ça n’était pas la question.

L’auteur à côté duquel il ne fallait pas passer : Epicure dit qu’il faut distinguer entre les désirs naturels et nécessaires, les désirs naturels mais non nécessaires, les désirs ni naturels ni nécessaires.

Les notions incontournables : Il fallait évidemment parler de désir et volonté mais aussi de nature et culture.

La référence d’actualité : La question de la liberté sexuelle et du débordement, qui inclue le problème d’addiction sexuelle. Est-ce que les appétits sexuels sont naturels ? D’où la question des limites, notamment avec la prostitution.

Le point bonus : Il fallait montrer qu'on a compris le sous-entendu que le désir n’est pas le besoin et donc n’est pas naturel. C’est d’ailleurs ce qui différencie l’homme de l’animal : l’homme a des désirs alors que l’animal a des besoins. Cette dimension excède la nature. Le personnage de Figaro, de Beaumarchais, dit d’ailleurs : "boire sans soif et faire l’amour en tout temps, Madame, il n’y a que ça qui nous distingue des autres bêtes".  Donc le désir est humain.

Travailler, est-ce seulement être utile ?

Le debrief de Laurence Hansen-Love, prof de philo aux lycées Buffon et Jules Ferry à Paris, auteur du blog hansen-love.com.

Le hors-sujet à éviter :  Dire que le travail est utile, ce n’est absolument pas la question. Il ne fallait pas non plus ressortir le cours sur le travail comme obligation sociale. La question était : le travail est utile, mais est-il aussi autre chose qu’utile ?

Les notions incontournables : L’intérêt, le profit (qu’il soit économique ou psychologique) et le bénéfice (qui peut être moral).

L’auteur à côté duquel il ne fallait pas passer : Kant a écrit qu’on travaille pour avoir l’estime de soi. Le bénéfice du travail est autre chose que l’utilité.

La référence d’actualité : La souffrance des jeunes au chômage dans toute l’Europe, en regard de l’estime de soi.

Le point bonus : On pouvait se demander à qui le travail est utile : à la société, à l’employeur, à soi ? Il peut être utile à soi sans être forcément reconnu socialement. Si le travail est utile, l’oisiveté l’est aussi. Russell a écrit l’Eloge de l’oisiveté. Selon lui, il faut aussi des gens qui dépensent ce que produisent ceux qui travaillent. Nietzsche dit par ailleurs que le travail est la meilleure des polices. Il est utile car il nous rend servile.

Le debrief de Geoffroy Lauvau, agrégé de philosophie et ATER à l'université Paris IV.

Le hors-sujet à éviter : Le risque était de réduire l'utilité au sens économique du service rendu, c'est-à-dire à un rapport de moyens et de fins, alors que l'utile est aussi défini philosophiquement comme la propriété de ce qui est moral.

Les notions incontournables : La première notion est celle de la maximisation de l'utilité. Un thème abordé dans la filière ES. Cette notion aborde le travail comme un outil qui permet d'avoir de la richesse, de percevoir un salaire. Chaque personne trouve ainsi utile de travailler pour poursuivre son bien être individuel à l'échelle d'une société. Ensuite la notion de plaisir est à lié à la celle de l'utilité. Travailler ne signifie pas seulement être utile pour une société, c'est aussi un moyen de se faire plaisir. Le travail est un moyen d'obtenir de l'argent pour son plaisir. Enfin, la dernière notion est celle de la valeur travail. Le travail apprend aux individus à se plier aux règles d'une société, il moralise l'homme et lui apprend à être un individu sérieux et responsable.

L’auteur à côté duquel il ne fallait pas passer : Jeremy Bentham ou John Stuart Mill, parce qu'ils appartiennent à l'utilitarisme anglais et ont justement analysé la coopération économique comme le moteur de la richesse et de la moralité.

La référence d’actu qui fonctionnait bien : Les travaux d'intérêt général, parce qu'ils sont développés parmi les alternatives à la peine. Et montrent bien que le travail n'est pas seulement un moyen de produire de l'utilité, mais est également une façon de se développer.

Le point bonus : Être capable de remarquer que la formule "être utile" réduit le travail à une fonction instrumentale aliénante - c'est l'être qui se résorbe dans l'utilité, et se trouve identifier à ce qu'il produit. Alors que le travail à d'abord une fonction pour celui qui l'effectue avant que de servir à quelqu'un d'autre.  Il y a une différence intéressante entre être utile et avoir une utilité.