Cancers de vétérans : l’armée est-elle responsable ?

(Photo d'illustration) © max PPP
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Damien Brunon , modifié à
LA QUESTION -

Pendant des années, ils ont travaillé près des têtes nucléaires sur le site du Plateau d’Albion. Aujourd’hui, des militaires veulent faire reconnaître leur maladie.

L’INFO. Ils sont peu, mais leur maladie pose question. Entre 1971 et 1996, quelques dizaines de militaires ont travaillé sur le site militaire du plateau d’Albion, dans le Vaucluse. A l’époque, cette base ultra-secrète hébergeait des missiles nucléaires pointés vers le bloc de l’Est. Après plusieurs morts suspectes dues à des cancers rares, des survivants tentent de faire reconnaître leur maladie auprès des autorités.

Une base ouverte en 1971. Pendant plus de quarante ans, ils ont été quelques dizaines à travailler sur ce site tout proche du Mont Ventoux. Dès 1965, le plateau d’Albion est sélectionné pour y accueillir une installation nucléaire : 18 silos et deux postes de conduite de tir. Les travaux se terminent en 1971 et font de cette base militaire l’un des endroits le plus secret et le mieux gardé de France.

"Garder des bombes atomiques de 9h du matin, jusqu’à 9h le lendemain”. “Ma mission était la garde de nos bombes atomiques de 9h du matin, jusqu’à 9h le lendemain”, témoigne auprès d’Europe 1 Leny Paris, militaire de 42 ans qui a travaillé un an sur le site dans les années 90. Atteint aujourd’hui d’une nécrose des os observée généralement chez les vieillards, il accuse les autorités de l’avoir exposé à un risque. “On avait des tenues qui aurait dû empêcher tous rayons, mais elles étaient déchirées. Le pire est que cette tenue était donnée aussitôt à un autre commando, donc les scientifiques devaient être au courant”, explique-t-il.

“J’ai rapetissé". Sa maladie le rend désormais très fragile. “J’ai rapetissé, de part ma nécrose, de quatre centimètres. Tout est difficile, ne serait-ce que balayer, de prendre le téléphone. Je passe des journées de vieillard”, témoigne-t-il.

Ce qu'en dit le ministère de la Défense. Du côté de la Défense, on refuse toute implication dans la maladie du militaire. Le ministère, cité par le Parisien, qui a dévoilé l’affaire, affirme que les “études menées sur le site (...) ont montré que son fonctionnement n’avait entraîné aucune contamination radioactive, et qu’il n’existait aucun risque d’exposition externe”.

Et si les autorités admettent que des traces de radioactivité ont été relevées sur place, elles ne voient pas de lien entre ces relevés et l’activité du site. Pour la Défense, les radioéléments détectés sur place proviennent de la nature, des essais nucléaires réalisés dans les années 50 et de la catastrophe de Tchernobyl. Rien à voir avec la présence de dizaines de têtes nucléaires sur le site donc.

Des morts suspectes. Pourtant ces dernières années, plusieurs personnes qui ont travaillé au Plateau d’Albion ou à proximité ont été victimes de pathologies étranges. Un ancien employé est mort en 2003 d’un sarcome, une forme rare de cancer, un gendarme qui descendait dans les silos a été victime d’une leucémie fulgurante en 2011, tout comme un boulanger qui travaillait à proximité du site.

Pourtant, parmi les cas identifiés par le Parisien, qui a révélé l’affaire, deux font actuellement l’objet d’une procédure en justice. Mais il est très difficile d’arriver à prouver un lien entre les maladies et l’activité du plateau d’Albion. Pour cela, il faudrait notamment obtenir le profil radiologique de l’époque des personnes concernées que le ministère de la Défense donne rarement. Leny Paris a enfin reçu le sien, il l’avait demandé il y a onze ans.

Ce qu'en disent les experts. Et s'il sera sûrement difficile pour le militaire d’arriver à ses fins, certains précédents retentissants devraient l’y aider. Selon la sociologue de la santé et directrice de l’unité Inserm sur les cancers d’origine professionnels, Annie Thébaud-Mony, le lien entre radioactivité et cancer est clair. “Dans la mesure où la radioactivité est un des cancérogènes avérés, il n’y a aucun doute sur sa relation avec le cancer”, déclare-t-elle à Europe 1.

"Je prends une situation parallèle : l'Arsenal de Brest, où des travailleurs de l'Etat ont travaillé pendant 25 ans sans aucune information sur la radioactivité, poursuit-elle. Ils étaient au contact de têtes de missiles, ils ont développé des cancers reconnus en maladie professionnelle, et le ministère de la Défense a admis la faute inexcusable de l'employeur, sa responsabilité dans cette histoire."

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La politique de l’autruche ? Mais ce qui étonne surtout la sociologue, c’est l’inaction des pouvoirs publics sur le sujet. Concernant le lien entre le nucléaire et les cancers dans la population, la scientifique accuse l’Etat de ne pas vouloir regarder les choses en face. “J'ai publié une enquête sur ce sujet il y a 15 ans maintenant, en 2000. Quel retour j'ai eu ? Pas de retour”, déplore-t-elle.

Et selon elle, la problématique ne concerne pas que les militaires du Plateau d’Albion. “Pour avoir travaillé pendant plus de 10 ans avec les travailleurs sous-traitants qui font la maintenance des centrales, ils ont des expositions qui ne sont pas du tout négligeables. Aujourd'hui, 20 ans après, on commence à voir apparaître des cancers : on a un vrai problème avec la radioactivité”, ajoute Annie Thébaud-Mony.

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