LE ROUTIER DES PRETOIRES. Sept condamnations pour neuf meurtres et deux peines de perpétuité. Depuis son arrestation en janvier 1992, le tueur en série Francis Heaulme écume les cours d'assises de l'Hexagone pour y solder le bilan meurtrier de son tour de France funeste entamé en 1984. Lundi s'ouvre à Metz le neuvième procès de celui que la presse a surnommé "le routard du crime", le premier depuis 2004. Le tueur est cette fois jugé pour les meurtres tristement célèbres de deux enfants, commis en 1986, à Montigny-lès-Metz, en Moselle.
>> Que sait-on de l'accusé Francis Heaulme? Comment l'homme se comporte-t-il à l'audience ? A quoi peut-on s'attendre dans ce quatrième procès de l'affaire de Montigny-lès-Metz ? Un journaliste, une avocate criminologue et son propre avocat témoignent pour Europe 1. Portrait d'un "routier" des prétoires.
La "gueule de l'emploi". Dans le box, c'est un homme à l'allure d'un géant chétif d'1m87, avec des mains de "brute" - selon les mots d'une mère de victime - qui prend place. Pour la neuvième fois, comme à chaque procès, il décline son identité à l'invitation du président de la cour : "je m'appelle Heaulme Francis, né le 25-2-59 à Metz, sans profession, célibataire", répond-il avec un léger cheveu sur la langue, la tête baissée dans le micro.
Son visage aux traits saillants, prématurément vieilli, porte les marques du mal qui le ronge : un menton prognathe, une bouche édentée et sans lèvres. Francis Heaulme souffre du syndrome de Klinefelter, une anomalie génétique qui est notamment la cause de l'atrophie de ses parties génitales et de son déficit intellectuel : son QI varie entre 60 et 70, selon les évaluations. Ses yeux semblent comme effacés derrière les grands carreaux qui lui barrent le visage. Pourtant, c'est ce même regard qui marque d'abord tous ceux qui l'ont croisé dans les cours d'assises.
"Il regarde chaque personne à l'audience". Ce regard a la première fois "impressionné avant toute chose" Nicolas Bastuck, aujourd'hui rédacteur en chef adjoint à l'Est-Républicain. Alors chroniqueur judiciaire pour le Républicain Lorrain, il a couvert trois procès Heaulme ainsi que l'affaire de Montigny. "Il a un regard très particulier, perçant. Je me souviens qu'il scannait la salle", raconte le journaliste.
Ce même regard glace encore le sang de Me Corinne Hermann, avocate et criminologue, spécialiste des "cold case" et des tueurs en série. "Heaulme regarde chaque personne à l’audience, il vous sonde et vous évalue. Il regarde et il pénètre. Et on le sent. C’est vraiment une impression particulière", confie-t-elle. Au début des années 1990, alors jeune juriste, Corinne Herrmann travaille pour la défense de Francis Heaulme. Au procès, elle est assise au côté de ses avocats, devant le box, avec l'accusé dans le dos. "Je demandais toujours la présence du GIPN pour l'encadrer à l'audience. Parce que je me disais que s'il nous attrapait, avec ses mains…". Cette rencontre avec le tueur, son regard, "a changé (s)a vie", explique l'avocate qui a dès lors viré de bord pour se consacrer aux victimes et aux affaires non résolues.
"Il donne du M. le président, du M. l'avocat général". L'accusé Francis Heaulme apparaît au cours des débats comme "très respectueux avec l'autorité judiciaire", note Nicolas Bastuck : "il donne du M. le président, du M. l'avocat général". Corinne Herrmann estime pour sa part que l'homme a connu "une progression intellectuelle de cour d'assises en cour d'assises".
"Au lieu d’aller à l’école et d’apprendre, il a appris en cour d’assises. Il s’est adapté à cet environnement et il est comme un poisson dans l'eau", explique-t-elle, précisant qu'il est "aussi adapté que l’on peut l’être en tant qu’avocat ou journaliste d’audience. Il en connaît les principes, il a appris à parler français à l’audience". Heaulme est en effet à l'aise et joue le jeu de la presse "se laissant photographier, discutant avec ses avocats devant les caméras, prenant ses aises dans le box", se souvient Nicolas Bastuck. "Il n'est pas écrasé par le décorum. On sent l'habitué, le vieux routier des prétoires". Une aisance teintée, au cours des débats, d'une pointe de mégalomanie.
Un accusé mégalo qui joue ? "Tout le monde me connaît, je suis un tueur en série, chaque fois qu'il y a un meurtre, c'est Heaulme. Si ça continue comme ça, je vais mettre fin à mes jours", clame-t-il à la barre en 2002, alors qu'il est entendu cette fois comme "témoin principal" au procès de l'acquittement de Patrick Dils. Les experts qui ont dressé le profil de Francis Heaulme estiment que l'homme dispose d'une propension à la mégalomanie. Pour Corinne Herrmann, Heaulme joue et a toujours joué à l'audience, évoquant même "de façon déguisée" des meurtres qui ne lui sont pas encore attribués. "Dans l’affaire Joris Viville (*), il nous avait dit : 'la voiture était peut-être bleue… Non ! Elle était peut-être blanche... ou peut-être comme celle de Perpignan'. On se disait donc que l'on allait avoir besoin d'aller à Perpignan tout en sachant que cela pouvait être Montpellier ou une tout autre ville", raconte-t-elle.
Heaulme est-il capable de manipuler la cour ? C'est la question que s'est longtemps posé Nicolas Bastuck. L'ancien chroniqueur judiciaire a depuis tranché, convaincu du contraire : "il n'y a pas de cohérence dans son discours, dans sa stratégie de défense et dans ses interventions à l'audience". Le journaliste confie ne l'avoir "jamais vu agresser un expert ou un témoin gênant" même s'il peut s'avérer "mordant". "Il y a une espèce de naïveté qui fait froid dans le dos, de spontanéité dans ses réponses qui peut être terrifiante. On a tous en tête ce qu'il avait expliqué au procès de l'acquittement de Patrick Dils". Francis Heaulme nie alors sa participation au meurtre avec ses mots à lui : "mon style, c'est l'Opinel, et j'étrangle les mains nues", lâche-t-il à la barre.
Un coup de théâtre est-il possible ? Cette volonté de faire le spectacle peut-elle l'amener à avouer un double meurtre qu'il a toujours nié ? "Quand il est acculé, il y a un moment où il reconnaît à demi-mot. Mais il reconnaît à sa façon", raconte Me Herrmann. Et dans cette affaire de Montigny-lès-Metz, les preuves matérielles font défaut, même s'il a reconnu "à sa façon" sa présence sur les lieux du crime ce jour-là. Un état de fait qui pousse Nicolas Bastuck à exclure toute confession. "Je ne crois pas un instant à des aveux de dernière minute", lâche-t-il. Pis, il évoque une possible catastrophe judiciaire : "la justice voulait des aveux. Elle ne les a pas et elle ne les aura pas à l'audience. Mais Francis Heaulme peut mettre en cause un complice".
Et c'est la voie que semble prendre l'avocat du tueur en série. "Nous voulons des précisions d’Henri Leclaire évidemment. C’est pour nous une mine de renseignements que nous entendons exploiter", lâche-t-il en évoquant l'homme qu'un témoignage de dernière minute situe sur la scène de crime le jour du meurtre. Visé par un supplément d'information, ce dernier a bénéficié d'un non-lieu en 2013. Me Gonzalez de Gaspard va donc plaider pour l'acquittement de son client, Francis Heaulme, le "routard du crime" : verdict le 23 avril.
*Francis Heaulme a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté de 22 ans, pour le meurtre de cet enfant belge de 10 ans, en avril 1989, près de Saint-Tropez.
PORTRAIT - Qui est Henri Leclaire ?
DÉTERMINATION - Le combat d'une mère
INATTENDU - Un nouveau témoin se manifeste
RÉACTION - La crédibilité du nouveau témoin est "nulle"
ZOOM - Comment l'enquête est remontée jusqu'à Heaulme ?
CONFLIT - Les familles des victimes divisées
CORBEAU - Une lettre anonyme d'Heaulme à la police en 1986 ?
CONFIDENCE - Montigny : "ce n'était pas moi", dit Heaulme