"Gilbert Collard va être député pendant huit ans, il fera des lois et pourra alors devenir avocat." La pique acerbe est signée de l'un des plus brillants avocats, Eric Dupont-Moretti. Et plus encore que de viser celui qui est pourtant déjà son confrère Me Collard, c'est à la passerelle entre la vie politique et les robes noires que s'en prend "la bête noire des prétoires". Claude Guéant et Jeannette Bougrab sont les derniers en date à en avoir profité. La ministre Christiane Taubira a promis de s'attaquer à ce passe-droit, mais les avocats jugent la réforme insuffisante.
La passerelle en question. Le décret du 4 avril dernier est resté en travers de la gorge des robes noires. Paru dans les dernières semaines du gouvernement Fillon, il permettait un accès encore plus facile à la profession d'avocat en dispensant " les personnes ayant exercé des responsabilités publiques les faisant directement participer à l’élaboration de la loi [...] pendant huit années" de la formation théorique et pratique ainsi que du CAPA (le certificat d’aptitude à la profession d’avocat, l'examen qui sanctionne la fin des études d'avocat, ndlr). Une évolution qui permettait aux anciens ministres et aux parlementaires de se reconvertir plus facilement.
Une pratique ancienne. Auparavant, il existait déjà une dérogation mais seulement pour certains professionnels - comme les notaires, les huissiers, les magistrats ou encore les fonctionnaires de catégorie A titulaires d'une maîtrise de droit. Dominique de Villepin, en tant qu'ancien haut fonctionnaire et diplômé de l'ENA, ou encore Rachida Dati, qui fut magistrate, avaient bénéficié de cette ancienne passerelle.
Ce qui devrait changer. Christiane Taubira a promis de supprimer le décret du 4 avril. La garde des Sceaux propose de permettre aux ex-parlementaires et ministres de continuer à pouvoir devenir avocats mais à plusieurs conditions. La dispense de Capa serait soumise à une condition de diplôme (être titulaire d'une maîtrise de droit, au minimum) mais aussi au suivi de la formation en déontologie et le passage d'un examen sur les connaissances déontologiques ainsi que sur la réglementation professionnelle.
Les avocats voient rouge. Malgré l'ajout de l'obligation de formation et d'un examen de déontologie, la proposition de Christiane Taubira n'a pas séduit les avocats. Le Conseil national des barreaux, qui représente les 55.000 robes noires en France, lui a demandé l'abrogation pure et simple du décret et "une réforme globale des voies d’accès dérogatoires". Pour le moment, la garde des Sceaux n'a pas réagi à ces demandes.