Une proposition de loi. Ils sont des centaines tous les ans, tirés au sort sur les listes électorales, à devoir "juger en leur âme et conscience" leurs concitoyens. Mais rien ne les y prépare. La semaine dernière, au procès d'un retraité accusé d'avoir torturé sa femme pendant 32 ans, un juré a fait un malaise en entendant le détail des coups qui ont laissé la victime édentée ou encore des mutilations génitales multiples. Évacué de la salle d'audience, il n'a pu bénéficier d'aucun soutien psychologique officiel, et pour cause : rien n'est prévu par la loi. Pour aider les citoyens appelés à être jurés, le député UDI Yannick Favennec vient de déposer une proposition de loi visant à "permettre la mise en place d'un soutien psychologique", selon les informations recueillies par Europe 1.
Le projet : "mieux accompagner" les jurés. "L'objectif est de mieux accompagner nos concitoyens tirés au sort, qui ont parfois affaire à des faits criminels extrêmement difficiles à supporter humainement et qui n'y sont pas préparés. Ma proposition de loi permet aux présidents de cours d'assises, lorsqu'ils l'estiment nécessaire, de décider d'un soutien psychologique pendant la durée d'un procès mais aussi les jours suivants", détaille l'élu à Europe1.
Yannick Favennec espère que le texte sera présenté par le groupe UDI lors de sa prochaine "niche parlementaire" (une séance pendant laquelle un groupe parlementaire est maître de l'ordre du jour de l'Assemblée, ndlr). Mais cette session n'interviendra pas avant l'automne. En attendant, le député interrogera la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, mardi prochain à l'Assemblée, à l'occasion de la semaine de contrôle du gouvernement "pour savoir ce qu'elle pense de cette proposition".
"J'ai beaucoup pleuré". Ce besoin de soutien et d'attention, Sandrine l'a ressenti, elle qui a été jurée lors de quatre procès. "On reçoit les choses en pleine gueule mais on n'a pas le droit d'en parler. J'ai beaucoup pleuré. Si j'avais eu un soutien psychologique, ça aurait peut-être été moins lourd", se souvient cette professeur de maths parisienne. "On ne peut pas se préparer. Par exemple, c'est la première fois que je voyais une arme pour de vrai. Je me suis sentie très naïve. Tu arrives avec ton histoire et on te 'lance' aux assises", raconte-t-elle à Europe 1. Aux assises, rappelle Sandrine, on ne juge pas "un vol à l'étalage". "Les accusés, c'est des fauves", lâche cette quadragénaire.
"L'idée de soutien psychologique me semble justifiée. On n'est pas à l'abri d'un pétage de plomb face à une histoire qu'on croyait anodine. Ça renvoie à des choses douloureuses", poursuit Sandrine. "Quelqu'un qui vous demande 'comment ça va ? Comment vous vivez l'audience ?', ça ferait peut-être changer les choses", conclut-elle.
Les magistrats aussi sont à l'écoute. Prendre le temps de parler, de "débriefer" pour soulager, Gilles Latapie, président de cour d'assises, l'a souvent fait, en dehors de toute loi parce qu'il sentait que c'était une nécessité. Ainsi, lors du procès de Michel Fourniret qu'il a présidé en 2008, il a déjeuné "tous les jours avec les jurés pour voir si l'un ou l'autre avait une quelconque difficulté", se souvient-il. Le magistrat s'appuie également sur les assesseurs ou encore les greffiers "pour faire remonter l'info et entourer la personne [qui irait mal]".
Gilles Latapie estime donc pour sa part qu'il n'y a pas forcément besoin d'institutionnaliser la prise en charge psychologique des jurés : il est du devoir des magistrats de faire attention à eux. "Je leur dis le premier jour que nous sommes une équipe. Les problèmes de chacun deviennent mes problèmes. Cela fait partie de ma mission", estime le magistrat. Pour autant, "l'intervention de quelqu'un d'extérieur peut être un outil précieux. Un savoir-faire professionnel, ça peut être une aide", reconnaît-il.