Le 20 mai dernier, le procès Colonna a vécu un rebondissement improbable. Alors qu’un témoin est entendu à la barre, Maître Eric Dupond-Moretti interrompt les débats, va se placer devant quelqu’un dans l’assistance. "Vous êtes Jacques Follorou, journaliste au Monde ? " L’intéressé acquiesce. Problème : il est cité comme témoin quelques jours plus tard. "L’oralité des débats est violée", dénonce alors Me Dupond-Moretti. "C’est un motif de cassation", renchérit Me Garbarini, autre avocat du berger de Cargèse.
Trouver les failles, c’est l’une des spécialités de l’avocat quinqua, né en 1961 à Maubeuge. Avec deux pénalistes sous ‘sa coupe’, qui l’accompagnent et travaillent les dossiers, Me Eric Dupond-Moretti aime fouiller, partout. "Il faut mettre son nez là où personne ne veut aller, plonger au cœur de la bureaucratie judiciaire, avec un esprit de défiance systématique", expliquait-il dans un entretien au Monde il y a trois ans. Ensuite, son talent d’orateur fait le reste.
"Il plaide comme il parle"
Car c’est bien sa principale force, celle qui lui a permis de faire acquitter plus de 80 accusés et qui a valu à l’un des avocats les plus célèbres de France le surnom "acquittator". "C’est le meilleur d’entre nous, il n’y a pas photo", explique Me Patrick Delbart, bâtonnier du Barreau de Lille en 2003 et 2004, qui le côtoie depuis ses débuts. "Mais je ne suis pas objectif", s’amuse-t-il, totalement sous le charme. "Il y a lui et les autres", appuie Me Guillaume Demarcq, qui a travaillé cinq ans à ses côtés. "Il plaide comme il parle, il percute vite, il est fulgurant dans son raisonnement ", poursuit "sans flagornerie" cet avocat de 37 ans, désormais collaborateur de Me Franck Berton, un autre ténor du Barreau de Lille.
Un bon mètre quatre-vingts, plus de 100 kg, Me Dupond-Moretti en impose, partout où il passe. "Quand il est dans une pièce, on le sait", sourit Me Delbart. "Il a un pouvoir de persuasion absolument indéfinissable, il comprend ses clients, il est vrai et d’une très grande sensibilité".
Plus de 300 jours par an aux assises
Gros bosseur, gros fumeur - "il y a toujours sur son bureau quatre ou cinq paquets de cigarettes ouverts, de toutes les marques" – Me Dupond-Moretti est "hors norme, il a des capacités physiques extraordinaires". "Il est incroyable. Il travaille tout le temps, dort, peu et passe plus de 300 jours par an aux assises", s’étonne encore Guillaume Delmarcq qui le compare pour son charisme à "Johnny ou Belmondo".
Impliqué à fond dans ses dossiers, il a pris un peu de recul depuis ses débuts et ne vomit plus avant de plaider. "Ça a duré dix ans. Tout me paniquait, une porte qui s’ouvrait, un téléphone qui sonnait", précisait-il au Monde. Aujourd’hui il dit : "ce n’est pas que je maîtrise mon art, c’est que j’ai maîtrisé ma peur".
Placé sur le devant de la scène par des affaires médiatiques – Outreau, Viguier, l’époux suspecté du meurtre de sa femme, Colonna aujourd’hui –, Me Eric Dupond-Moretti a été élevé au rang de "star du barreau". "Vous n’avez pas idée du nombre d’avocats qui se prévalent d’être ses amis", s’amuse un avocat lillois. Le grand public n’en est pas moins pris de passion pour ce pénaliste, en témoigne la page Facebook "Fan d’Eric Dupond-Moretti". "C’est quelqu’un que j’admire, qui parle bien, qui passe bien dans les médias", explique Christelle, la créatrice de cette page qui compte 197 membres.
"Il a très peu d’amis"
Mais c’est aussi le revers de la médaille. Ultra-médiatique, entier, Me Eric Dupond-Moretti n’a pas que des amis. "Il a un problème d’ego. C’est le meilleur et il le sait", témoigne par exemple un avocat. "Il a très, très peu d’amis". "C’est Henri VIII", sourit Me Delbart. "Il n’est pas facile, il n’a peur de rien"."Il est soupe au lait, volcanique, capable de crier très, très fort", commente un autre avocat. "Une bonne partie des magistrats le "haïssent", tandis qu’une bonne partie des avocats le jalousent. "Mais jaloux de quoi ? Il a un talent unique, et s’il est là aujourd’hui, il ne le doit qu’à lui", commente Me Demarcq.
"Et si tant est qu’il y ait, un jour – ce qui n’est pas près d’arriver –, quelqu’un de son talent, il faudrait encore qu’il ait envie de faire ce qu’il fait", précise Me Demarcq, au sujet de ce bourreau de travail. "A fleur de peau", "écorché vif", reviennent aussi pour qualifier ce garçon du Nord qui est "parti de nulle part". "Mais c’est un Mozart, un artisan génial", s’enthousiasme Me Demarcq. On y revient toujours.