L'INFO.Le contrat entre l’État et Ecomouv', la société chargée de la collecte de l'écotaxe, a-t-il été passé dans les règles ? Face aux contestations, le procureur de la République de Nanterre, Robert Gelli, a décidé mercredi de rouvrir une enquête préliminaire sur les conditions d'attribution du contrat. "Cette enquête avait été classée sans suite il y a quelques semaines. Mais au vu de certaines choses dites récemment, j'ai décidé de la rouvrir. Il s'agit de savoir s'il y a eu dans l'attribution du contrat des éléments de nature à porter atteinte à l'égalité de traitement qui doit prévaloir dans les marchés publics", a indiqué le représentant du parquet, qui est catégorique : personne ne lui a imposé cette décision.
L'enquête a été de nouveau confiée à la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE). Elle avait été ouverte deux ans plus tôt, après une plainte de la Sanef, l'une des concurrentes d'Ecomouv' pour le partenariat sur l'écotaxe.
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Des coûts "aberrants". Première critique formulée à l'encontre de ce contrat : le coût "aberrant" du contrat, pour reprendre les mots de Jean-François Copé. L’État est lié avec Ecomouv' par un partenariat public-privé (PPP) signé en 2011 par l'ancien gouvernement Fillon. D'une part, le gouvernement ne peut pas le rompre sous peine de devoir verser un milliard d'euros à la société. D'autre part, l’État doit verser à Ecomouv' 250 millions d'euros par an, soit environ 20% des recettes attendues de l'écotaxe, pour rembourser les frais d'installation et d'exploitation du dispositif mis en place pour la collecte.
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Par ailleurs, selon des informations de Mediapart, la facture totale pour l’État est passée, sans explication, d'un peu plus de 2,5 milliards d'euros à 3,2 milliards, entre les chiffres annoncés avant l'appel d'offres et ceux fixés par le contrat. Une zone d'ombre qui a poussé le procureur à vouloir rouvrir le dossier mercredi.
Le contrat est-il si onéreux que ça ? Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Environnement en 201, a assumé mardi un partenariat public-privé passé "en toute transparence" après "plus d'un an" de négociation et un appel d'offres dans les règles. Pourtant, selon les détracteurs du contrat, l’État aurait pu faire affaire avec des sociétés moins coûteuses. En Allemagne, par exemple, la société Toll Collect, qui se charge de collecter l'écotaxe, ne perçoit "que" 13% des recettes chaque année, contre 20% en France.
Toutefois, comme le détaille ici La Tribune, l'Allemagne a dû payer très cher, en une fois, l'installation du matériel, avant même l'entrée en vigueur de la taxe. Et en Slovaquie par exemple, la société chargée de la collecte reçoit plus de 40% des recettes de la taxe. De plus, selon les informations d'Europe1, un rapport de la BRDE en date de 2012 affirmerait qu'Ecomouv était au moins 300 millions d'euros moins cher que ses concurrents.
Des soupçons de corruption... Le contrat est également entaché de soupçons de corruption. Pierre Chassigneux, président du conseil d’administration de Sanef en 2011, a ainsi affirmé aux enquêteurs avoir été contacté en 2010 par un intermédiaire, qui lui a fait comprendre que le résultat de l’appel d’offres serait fonction de "qui pourrait 'gratifier'", pour reprendre des mots cités par Le Point. Les enquêteurs ne sont toutefois pas allés plus loin que la collecte de quelques témoignages et le procureur de Nanterre souhaite aller plus loin sur ce sujet, avec des auditions plus poussées. Le hic : il ne pourra plus se servir des fadettes, les factures téléphoniques détaillés, puisque elles ne sont plus conservées au bout d'un an.
... Et de conflit d'intérêts. Ecomouv' est contrôlée par le groupe italien Autostrade qui possède 70% des parts de la société, en association avec les sociétés françaises Thales, SNCF, SFR et Steria. En 2011, la Sanef, la concurrente d'Ecomouv', avait également déposé un recours devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dénonçant un conflit d'intérêt. Et la justice avait alors donné raison au plaignant, ordonnant la suspension du contrat. En cause : des liens soupçonnés entre Autostrade et une filiale de la société Rapp AG, dénommée SAS Carte blanche. Cette dernière était justement chargée par l’État d'évaluer les différentes candidatures en tant que "conseiller technique", comme le racontait mardi L'Expansion.
Le Conseil d'État a finalement annulé cette décision quelques mois plus tard. La haute juridiction a certes "reconnu que le principe d'impartialité a été méconnu" mais a jugé que cela ne nuisait pas aux négociations, car Rapp avait signé une clause de confidentialité et était faiblement dépendant financièrement d’Autostrade, comme l'explique ici Libération.
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