Claude Guéant ferait-il marche arrière concernant la réforme de la garde à vue, qui devait être votée mercredi soir ? Le ministre de l'Intérieur a en tout cas fait part, dans un courrier à François Fillon, de ses craintes concernant un point précis du projet de loi : la présence de l’avocat pendant l’audition.
Des "risques" pas "pleinement mesurés"
Le ministre de l'Intérieur craint en effet que cette présence, telle qu'elle est pourtant prévue dans la réforme de la garde à vue, soit source d'"incidents". Il estime que "le texte du projet de loi, tel qu'il est actuellement rédigé, semble porteur de risques qui n'ont sans doute pas tous été pleinement mesurés".
C'est pourquoi, poursuit-il, le ministère de l'Intérieur "s'est efforcé, au cours de ces derniers mois, d'appeler l'attention de tous sur la nécessité de ne pas compromettre, par cette réforme, l'efficacité des investigations judiciaires conduites par les policiers et les gendarmes sous l'autorité des magistrats".
En assistant aux auditions, "il est probable que certains avocats adopteront une stratégie de défense consistant à poser des questions pendant l'audition", s’inquiète encore Claude Guéant. D’où, selon lui, un risque d'"incidents" perturbant l'audition "sans que l'enquêteur ne dispose de moyens pour encadrer son bon déroulement".
Le ministre de l’Intérieur soulève également la question "de la gestion par l'enquêteur des conflits d'intérêts entre un avocat désigné par plusieurs personnes gardées à vue au cours d'une même enquête".
"Une conception désuète", pour les avocats
Les avocats ont vivement réagi aux craintes exprimées par le ministre de l'Intérieur. "Cela me parait être le chant du cygne d'une conception désuète de l'action policière", a réagi le vice-bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, Me Jean Yves Le Borgne. "Il faut maintenant que la police et celui qui la dirige acceptent comme incontournable une modernité qui prévaut déjà dans de nombreux autres pays européens", a-t-il assuré avant d'ajouter que "l'avocat n'est pas un perturbateur, il est un partenaire essentiel de l'oeuvre de justice, qui commence dès la garde à vue".
"Il faudrait peut-être que Claude Guéant se renseigne sur le contenu du texte", a jugé de son côté Me Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux. "Les deux cas de figure y sont envisagées. Les inquiétudes sont sans fondement", a-t-il observé. "On a parfois le sentiment que la France est le premier pays dans lequel l'avocat va être présent en garde à vue. Or, on serait plutôt les derniers et les autres ont réussi à se livrer à ce tour de force terrible sans qu'il se soit passé des choses épouvantables", a-t-il ironisé.
Le projet de loi sur la garde à vue est revenu mardi soir devant les députés qui devaient l'adopter mercredi soir ou jeudi matin. Ils sont de toute façon pressés par une décision de la Cour de cassation qui pourrait accélérer la mise en place de la réforme imposée par le Conseil constitutionnel.