Deux Soudanais et un Indien, qui séjournaient en situation irrégulière en Gironde, ont récemment été expulsés du territoire français sur ordre de la préfecture du département. Des éloignements courants sur le fond, mais contestés avec virulence sur la forme par des avocats et des magistrats, rejoints par la Cimade, une association de défense du droit des étrangers, notamment présente dans les centres de rétention.
"Scandaleux"
L’affaire commence au début du mois d’août. Un ressortissant indien est arrêté et placé en garde à vue, car il n’a pas de papiers en règle. Or, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé en avril qu’il n’est plus possible de placer en détention un étranger au seul motif du séjour irrégulier. La garde à vue est donc illégale. L’homme est tout de même expulsé alors même que le juge des libertés et de la détention (JLD), avait ordonné sa libération. Quelques jours plus tard, le même processus se répète, avec deux ressortissants soudanais cette fois. Eux n’auront même pas le temps de répondre à la convocation du JLD.
C’en est trop pour le Syndicat de la magistrature. "Rien n'interdit à la préfecture de procéder à l'éloignement avant la présentation à un juge, mais ce qui est scandaleux c'est que le juge s'était saisi pour mettre fin à une illégalité : celle du placement en garde à vue pour simple séjour irrégulier", a estimé son secrétaire général, Matthieu Bonduelle.
"Mes services n’ont pas violé la loi"
Dans le cas, des deux Soudanias, "dès le 10 août, le juge des libertés et de la détention adresse les convocations à l'audience du lendemain, à 14 heures. Mais, au petit matin du 11 août, la préfecture, sans avertir leur avocat, sans attendre l'audience, choisit de mobiliser un véhicule et du personnel de police pour les reconduire à la frontière italienne", dénonce dans un communiqué commun le Syndicat de la Magistrature, le syndicat des avocats de France et la Cimade. "La préfecture de Gironde a volontairement contourné le recours au juge", peste de son côté l’avocat des deux Soudanais.
Le préfet de Gironde se défend, lui, de toute illégalité. "Les services placés sous mon autorité n’ont pas violé la loi, ils n’ont pas violé le droit européen. Nous avons mis à exécution cette mesure d’éloignement que ni l’étranger ni son avocat n’avaient jugé utile de contester devant le juge administratif", a assuré Patrick Stefanini sur Europe 1. "Je regrette pour ma part que ces deux ressortissants soudanais ou leur avocat n’aient pas pris l’initiative, comme ils pouvaient le faire, de saisir le juge administratif. C’était pour eux la meilleure occasion d’obtenir éventuellement l’annulation de la mesure d’éloignement."
La loi Besson pointée du doigt
Car c’est là les dessous de cette affaire. La nouvelle loi Besson sur l’immigration a étendu de deux à cinq jours la période pendant laquelle le juge administratif conserve la compétence pour se prononcer sur la légalité d’une rétention et d’une expulsion. Au-delà de ce délai, c’est le JLD, qui dépend du pouvoir judiciaire, qui prend le relais.
Pour les syndicats et les associations, cette mesure n’a qu’un but : accélérer les expulsions. "Il est clair que l’objectif de la loi Besson, c’était de différer l’intervention du juge judiciaire, c’est-à-dire celui qui est gardien des libertés, selon la Constitution, pour permettre à l’administration, à la police, à la préfecture, de procéder à l’expulsion de l’étranger avant même qu’il ait vu un juge de ce type", estime Matthieu Bonduelle, du Syndicat de la magistrature.
Pourtant, ce risque avait déjà été soulevé lorsque la loi n’était encore qu’au stade de projet. Eric Besson, le ministre de l’Immigration de l’époque, avait alors assuré que les étrangers ne seraient pas expulsés avant que le juge de la liberté ne se soit prononcé. La préfecture de Gironde l’a donc récemment fait mentir.