Pierre-Henri Gourgeon remboursera-t-il sa prime de non-concurrence? Les 400.000 euros sont déjà sur le compte de l'ancien dirigeant d'Air France-KLM depuis l'hiver dernier, mais tout le monde n'entend pas les laisser y dormir tranquillement.
Pierre-Henri Gourgeon avait en effet touché cette prime lors de son éviction en octobre 2011, en vertu d'une clause l'obligeant à ne pas aller travailler chez la concurrence pendant trois ans. Mais la polémique n'avait alors pas tardé à jaillir chez les salariés, à l'heure où le groupe est en proie à des pertes colossales et où se murmure un plan social monstre.
Le véto de l'Etat devrait être sans effet
Le président Hollande s'est emparé du dossier, lors du dernier Conseil des ministres. Il a confirmé que que l'Etat, actionnaire à plus de 15%, voterait contre la validation de cette indemnisation jeudi, lors de l'assemblée générale du groupe. "Cette prime ne s’inscrirait pas dans le sens des règles de modération salariale et de décence dans les comportements", avaient dénoncé mardi dans un communiqué commun Pierre Moscovici, ministre de l’Economie, et Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Et selon des informations du Monde, l'Etat aura derrière lui une majorité.
Mais le véto de l'Etat devrait être sans effet. "Les 400.000 euros ont déjà été versés sur le compte de M. Gourgeon. A priori cela ne peut pas être rétroactif, il aurait fallu que les actionnaires décident de ne pas lui verser avant. Ca me parait improbable qu'Air France obtienne le remboursement de la prime, explique Thierry Malarde, avocat spécialiste de droit du travail, contacté par Europe1.fr. Cela se fait d'habitude lorsque la close de non-concurrence n'est pas respectée, contraire aux intérêts de l'entreprise ou lorsque le montant de la prime est mirobolant, c'est-à-dire au moins supérieur à 50% du salaire annuel. Mais cela n'a pas l'air d'être le cas de M. Gourgeon."
En effet l'ancien patron percevait un salaire annuel fixe de 750.000 euros, plus une moyenne de 263.000 euros de part variable. La prime de 400.000 est donc en dessous des 50% de son salaire annuel.
"Aucune intention de rendre l'argent"
"Je vous parle là de droit privé. Mais peut-être existe-t-il un mécanisme applicable de droit public qui concerne Air-France, qui est financé en partie par l'Etat", nuance l'avocat. Avant de poursuivre : "Cela m'étonnerait quand même, car cela reste une société privée malgré les fonds publics."
"[Pierre-Henri] Gourgeon n'est pas contraint juridiquement de rendre l'argent et n'aurait par ailleurs aucune intention de le faire" écrit le Monde, se basant sur des "sources proches" d'Air France. Une information que confirme également le site du magazine Challenges, qui cite lui un administrateur du groupe. Une autre source interne citée par l'AFP a enfin rappelé que la convention avait été conclue en complète transparence et qu'elle était donc difficilement attaquable sur le plan juridique.
Le syndicat UNSA, qui milite pour l'annulation de la prime depuis des semaines, n'a pas encore souhaité s'exprimer sur la légalité d'un remboursement. "Nous étudions la question", a simplement déclaré l'organisation contactée par Europe1.fr.
Premier "coup de rabot"
Du coup, à quoi servira le vote de l'assemblée générale de jeudi? "Comme la prime est régie par une convention, qui lie deux parties, le code du commerce prévoit que ce soit porté à la connaissance des actionnaires lors de la première assemblée générale qui suit le conseil d’administration où la décision a été prise. En revanche, si les actionnaires n’approuvent pas ladite décision, cela ne la remet pas en cause", explique Challenges.
"Le vote servira peut-être à donner le pouvoir aux dirigeants d'Air-France d'intenter une action en justice. Ils essaieront peut-être même si elle a peu de chance d'aboutir", ajoute Me Thierry Malarde.
Et heureusement, selon un administrateur indépendant contacté par Challenges, qui affirme qu'une remise en cause de cette close serait une erreur stratégique pour Air France : "Très franchement, si Pierre-Henri Gourgeon acceptait de présider une autre compagnie aérienne occidentale, ou, pire, d’en conseiller plusieurs, ce serait une catastrophe". Pierre-Henri Gourgeon a passé 23 ans à Air France "et il a une mémoire d’éléphant", souligne le même administrateur. Et selon le magazine, au moins deux compagnies aériennes, dont une compagnie du Golfe, ont déjà approché l'ex-patron.
L'invalidation de cette prime devait être le premier "coup de rabot" du gouvernement sur les rémunérations des grands patrons. François Hollande a promis de limiter de 1 à 20 celles des dirigeants d'entreprises publiques. Même si l'Etat perd la bataille Gourgeon, la mesure devrait tout de même concerner les patrons d'EDF, Areva, La Poste et Aéroports de Paris, entreprises dans lesquelles l'Etat est actionnaire majoritaire.